
n’était pas homme à se laisser déconcerter ; il gagna du temps et
prit ses mesures.
La route que suivaient les pèlerins en se rendant à Mèdine
était infestée p a r les Bédouins pillards de la tribu de Harb. Té-
la l, qui avait promis de les punir, confia le commandement de
l ’expédition à son oncle, toujours p rê t quand il s’agissait de tire r
l’èpée. Iles ordres furent promptement donnés pour ré u n ir les
troupes nécessaires; les villes d’Hayel et de Kéfar fournirent
deux cents hommes, on en re c ru ta u n nombre égal dans les villages
voisins, et la petite armée se rassembla sous les murs de la
capitale, près de la porte du nord, bien qu’elle dût prendre la
direction du sud-ouest ; mais c’est là une ruse de guerre fort en
usage chez les Arabes pour tromper les ennemis en leur faisant
croire que l ’attaque n’est pas dirigée contre eux. P a r le même
motif, on cache aux soldats le b u t réel de l’èntreprise; ils savent
seulement d’une manière générale qu’ils vont marcher au combat.
Le jo u r désigné pour le départ, c’est-à-dire le 4 septembre,
Obeyd planta sa tente dans la plaine qui environne Hayel et
passa les troupes en revue. Un tiers environ des soldats était
monté sur des chevaux, les autres, su r des chameaux légers et
rapides ; tous portaient des lances et des mousquets, auxquels les
nobles joignaient l’épée à poignée d’argent; c’était un spectacle
à la fois pittoresque et guerrier que de les voir faire leurs évolutions
dans le champ de manoeuvres. Obeyd avait déployé son
étendard dont la bordure verte, couleur de l’islamisme, rappelait
la piété du prince, e t le fond blanc, ses sympathies nedjéennes.
Nous nous étions mêlés, Barakat e t moi, à la foule des curieux.
Obeyd, chez lequel nous n’avions pas été depuis plusieurs
jo u rs, nous aperçut, s’avança vers nous et, nous tendant la main
en signe d’adieu : « J ’ai appris, nous dit-il, que vous allez à
Riad, vous y rencontrerez mon meilleur am i, Abdallah, fils
aîné de Feysul; j e veux vous assurer ses bonnes grâces, et je lui
ai écrit à cette intention un e le ttre que vous lui remettrez de m a
p a rt. Je l’ai laissée chez moi, un de mes serviteurs vous la portera.
» Il nous promit ensuite que, si nous n’avions pas encore
q uitté Hayel à son re to u r, il chercherait tous les moyens de nous
être u tile ; que si, au contraire, nous nous étions rendus à Riad,
Abdallah, su r sa recommandation, serait pour n o u s u n précieux
protecteur.
Ses témoignages d’amitié étonnèrent tous les assistants; il se
montrait ainsi fidèle jusqu’au bout à son caractère de dissimulation
profonde. La lettre nous fut remise le jo u r même p a r un
vieux serviteur, auquel il avait confié le soin de garde r son p alais.
Le lecteur sera curieux sans doute de savoir en quels te r mes
Obeyd sollicitait pour nous la faveur d’Abdallah. « La crainte
l’emportant su r les convenances, » nous pensâmes qu’il se ra it
prudent de lire cette haute recommandation avant de la donner
au prince nedjéen. Nous ouvrîmes l’enveloppe en évitant de
rompre les cachets dont elle était scellée et nous acquîmes la
preuve de la perfidie d’Obeyd. La lettre était ainsi conçue : « Au
a nom du Dieu tout miséricordieux et tout bon, nous Obeyd,
* nous te saluons, ô Abdallah, fils de Feysul! que la miséricorde
a de Dieu soit su r toi, que la paix t ’accompagne ! » — Les épi-
tres wahabites commencent invariablement p a r cette formule,
qui remplace les interminables compliments en usage chez les
autres Orientaux. — « Nous te Élisons savoir que les porteurs de
« la présente lettre, Sélim-el- Eys e t son compagnon Barakat-esh-
* Shami, se disent versés dans l’a rt de guérir. » — Ici le prince,
au lieu du mot ordinaire employé en Arabie, se servait d’une
expression à double sens qui signifie moins la médecine que
la magie, crime puni à Riad de la peine capitale. « Nous prions
« Dieu de te préserver de to u t danger. Nous saluons aussi ton
« père Feysul, tes frères, ta famille, et nous attendons avec im-
» patience ta réponse. La paix soit avec toi. »
Obeyd trouva moyen d’envoyer encore à Riad de nouveaux
avertissements. Il va sans dire que cette missive perfide resta
entre nos mains comme un curieux autographe; si nous l’avions
remise à Abdallah, elle lui au ra it fourni la seule preuve qui lui
manquât pour faire tomber nos têtes.
Sans montrer l’épître à Zamil, nous lui apprîmes q u ’Obeyd
nous avait remis une lettre de recommandation p o u r le fils de
Feysul. Le ministre, nous supposant moins instruits des in ten tions
d’Obeyd que nous ne l’étions réellement, nous p ria de ne
pas nous charger de ce message dont il devinait le contenu. Nous
lui promîmes d’être prudents, mais nous n’en dîmes pas davantage,
satisfaits de cette nouvelle preuve de sincérité.
Obeyd é tan t éloigné, Télal se sentit en liberté d’a g ir; le
6 septembre, nous fûmes invités à nous ren d re dans le