
détour le b u t réel de notre e n tre p ris e , la conduite que nous
avions l’intention de tenir.
Il fallait nous attendre, quelque fût le p a rti que nous prissions,
à d’inévitables difficultés ; après y avoir mûrement ré fléchi
, nous réso lûm es, mon compagnon e t m o i, de demander
au roi une audience particulière et de lui to u t apprendre. Cependant,
pour nous conformer aux usages des co u rs, nous
crûmes devoir préalablement nous ménager un intermédiaire,
et nous le trouvâmes bientôt dans la personne du trésorie r Zamil.
Ce personnage, qui était en faveur auprès du prince, nous
avait p a ru dès le premier jo u r aussi bien disposé en notre faveur,
que remarquable p a r son jugement fin e t sûr. Mes fonctions
de médecin et des invitations cordiales m’avaient deja
donné accès près de lui; enfin malgré le peu de loisirs que lui
laissaient les affaires de l’É tat, il nous avait fait de fréquentes
mais courtes visites. Initié aux secrets desseins de Télal,
de moitié dans la p lu p a rt de ses mesures, il est assurément
plus ouvert, plus sympathique que son maître. Il offre
l’exemple bien r a r e d’un homme q u i, né dans les classes inférieures
de la société, a conquis l ’opulence- et le pouvoir sans
prendre ces m anières hautaines qui caractérisent ordinairement
les parvenus. De plus, il est doué d’un esprit pénétrant, d’une
prudence r a r e , d’u n tact exquis et d’une grande bienveillance.
Les seules faiblesses que lu i reproche la rum eu r p u b l i q u e e t •
l’élégance fastueuse du ministre semble justifier cette accusat
i o n , Sont une certaine ostentation et un relâchement de
moeurs excessifs, même p our u n Arabe; il faut a jo u ter, du reste,
qu’il p eu t en cela s’autoriser de l ’exemple de son royal maître.
Mais nous n ’avions pas à nous occuper des taches qui ternissent
le caractère de Zamil; sa position in flu en te, ses bonnes qualités
nous donnaient toute confiance pour l ’affaire que nous avions à
tra ite r avec l u i , et nous n ’eûmes pas à nous rep en tir d’avoir sollicité
sa protection. .
Nous commençâmes par lui dire que nous désirions obtenir de
Télal une entrevue p o u r lui communiquer des affaires d une
haute importance. Après lui avoir ainsi fait pressentir notre secre
t, nous lui apprîmes la vérité to u t entière e t nous lui demandâmes
son avis au sujet des propositions que nous voulions soumettre
au roi.
Le ministre nous répondit qu’il lui fallait quelque temps pour
réfléchir, puis, d’accord avec n o u s, il informa son maître des'
motifs de notre démarche. Pendant deux jo u rs , il vint chez
nous aux heures où il espérait ne pas être ob se rv é, afin de régler
à l’avance les moindres détails de l’entretien que nous devions
avoir avec Télal. Enfin il nous informa que le 21 août, dans la
matinée, le roi consentirait à recevoir nos communications. Je
ferai observer ici, qu’en Arabie comme e n Europe, une audience
privée du souverain [est une faveur qu’on n ’accorde jam ais sans
des motifs sérieux. L’étiquette sans doute entre pour beaucoup
dans cet usage, mais il faut l’attrib u er aussi à la crainte des tra hisons
dont les annales arabes conservent le souvenir. Plus
d ’une fois il est arrivé qu’un suppliant admis à l’honneur d’une
réception particulière, a caché sous ses vêtements le poignard
de l’assassin. Quant aux audiences publique s, dans lesquelles
u n cortège nombreux protège la majesté du prince contre la
dague des meurtriers et l’indiscrète familiarité du peuple,
Télal s’en montre beaucoup moins avare que les princes du
Nedjed et de l ’Oman.
Au jo u r fixé, un peu avant le lever du so le il, nous gagnâmes
par des rues détournées la maison de Zamil. Personne ne se
trouvait dans le k h aw a h , car la famille du ministre dormait encore,
et l ’heure était trop matinale pour des étrangers. Zamil
s’était déjà ren d u auprès du roi, sans doute pour donner les
ordres relatifs à notre introduction. Nous étions à peine arrivés
qu’un nègre appartenant au palais vint nous av e rtir de le suivre.
Nous entrâmes dans la résidence royale p a r une porte dérobée,
e t après avoir traversé plusieurs petits appartements, nous montâmes
un large escalier q u i nous conduisit à une salle spacieuse
et bien m eu b lé e , située au milieu de la to u r centrale. Télal et
Zamil nous y attendaient. Des esclaves et des serviteurs armés
se tenaient dans une pièce voisine, mais assez loin p o u r ne
rien entendre de notre conversation. Dès que les saluts d’usage
eu ren t été échangés, « Qu’avez-vous à me d ire , » demanda le
roi. Puis, voyant que j ’hésitais à répondre, il ajouta en m o n tra n t
le ministre : «Vous pouvez p arle r devant l u i , c’est u n au tre moi-
même. »
Je lu i expliquai donc brièvement les motifs de notre voyage;je
lui appris d’où nous venions, quel espoir nous am ena it en Arabie,