
est une formalité, il n ’exprime pas la pensée nationale, devenu
aujourd’hui une affaire de prudence plutôt que de conviction, il
n ’offre aucun tr a it caractéristique qui mérite de flxer l’attention
du voyageur. Les croyances religieuses sont flottantes et incertaines
; on y retrouve beaucoup de paganisme, quelques idées
mahométanes, une certaine tendance vers la foi chrétienne, e t
plus souvent encore une grande impatience de s’affranchir de
toute rè g le , de to u t dogme précis.
La plus grande partie de l ’assemblée se retire après la p riè re ,
ceux qui restent dans la mosquée se rapprochent les uns des
autres, e t s’accroupissent en cercle sur le sol parsemé de cailloux
; les uns s’appuient contre les lourds piliers qui soutiennent
la toiture, les autres jouent avec le hâton qu’ils tiennent à la
main. Un des fidèles, doué d’une voix sonore et mieux iniüé
sans doute aux mystères de l’alphabet que ne le sont la plupart
de ses compatriotes, pose su r ses genoux u n volumineux manuscrit
qui serait, à Paris ou à Berlin, u n ra re obj et de curiosité ;
il renferme des légendes plus ou moins authentiques sur la vie
du Prophète et de ses compagnons, peut-être encore les commentaires
d’El-Bokhari ou de quelque au tre pieux 'auteur. Cette
lecture est faite d’u n ton monotone, mais avec une pureté d’accent
q u ’envieraient les meilleurs grammairiens de la Syrie ou
du Caire ; la raison en est simple : l ’a r t n ’arrive jamais au même
degré de perfection que la n ature . Chacun écoute en silence les
paroles du lecteur; les uns tiennent leurs regards fixés sur le
saint livre, les autres les abaissent vers la te rre d’u n a ir de méditation
profonde; quelques-uns, plus jeunes ou d’un esprit
moins sérieux, n ’affectent pas une contenance aussi grave ; on
pourrait même apercevoir su r leurs lèvres un sarcastique sourire
au réc it des merveilleuses visions, des prodigieux exploits
qui leu r sont racontés, car les faits miraculeux que l’on accepte
ra it avec une foi aveugle à la Mecque et à Bagdad, rencontrent
ici plus d’u n incrédule. Je regrette d’être forcé d avouer que Té-
lal lui-même, quand il honore l’assemblée de sa présence, ne
donne pas l’exemple du recueillement et de la piété; ses yeux
perçants semblent vouloir scruter l’âme des auditeurs, e t l ’expression
de son visage atteste clairement que, to u t occupé des
affaires te rrestres, il prête une attention médiocre aux sages
maximes du Prophète. En un mot, il garde de la religion mahométane
juste ce qu’il croit devoir à son titre de roi, rien de
plus.
Après avoir écouté le lecteur dix minutes environ, Télal a coutume
de l ’avertir p ar un signe de la main, qu’il est suffisamment
édifié; aussitôt on ferme le livre et les assistants se dispersent.
Quand le prince n’assiste pas aux prières, ce qui lui arrive souvent,
lalecture est suivie d’une explication verbale ou d’un sermon fait,
soit p ar l’iman, soit p a r quelque vieillard revêtu d’un caractère
semi-religieux. J’entendais avec plaisir ces prédications familières
qui, dans le Djebel- Shomer et le Kasim portent l’empreinte
d u bon sens et de la moralité. Il n ’en est pas toujours ainsi dans
les provinces wahabites, comme nous le verrons plus tard.
La cérémonie achevée, chacun demeure assis pendant quelqu
e minutes, afin de méditer sur ce qu’il vient d’entendre, et
aussi pour laisser aux nobles personnages qui se trouvent dans
l ’assemblée, le temps de sortir sans être pressés par la foule.
Télal se lève le premier ; suivi de Zamil ou d’Abdel-Mashin, il
se rend dans la cour extérieure du palais et prend place su r la
plate-forme de pierre qui lui se rt de tribunal. Les causes trop
peu importantes pour être jugées à la séance du matin sontalors
appelées ; le prince, oubliant un moment la gravité royale, sour
it de la requête naïve d’un Bédouin, ou des plaintes de quelques
habitants d’Hayel, qui se sont mutuellement accablés d’injures.
Télal raille spirituellement les deux parties et finit souvent p ar
donner l ’ordre d’appliquer un nombre égal de coups de verges à
l ’accusateur et à l’accusé, car, dit-il, «l’insulte étant p resque toujo
u rs causée p a r la provocation, il est ju s te d’infliger le même
châtiment pour une faute réciproque1. » La peine toutefois, n ’a
rien de bien te rrib le ; dans ma jeunesse, un écolier se serait estimé
heureux si trois mauvaises notes inscrites dans le Livre
Noir ne lui avaient pas attiré une plus rude punition.
Mon compagnon et moi, mêlés à la foule, nous assistions à
ces amusantes audiences; parfois Abdel-Mahsin venait nous
retrouver et nous entamions avec lui une intéressante discussion
I. Cet arrêt rappelle la conclusion de la charmante fable de la Fontaine le
loup et le renard plaidant par-devant le singe.
Le juge prétendait qu’à tort et à travers
On ne saurait manquer condamnant un pervers.
{Note du traducteur.)