
Ali, de Bagdad, moins passionnés pour la visite des monuments
de leu r culte à Médine, en recevraient un grand accroissement.
Plusieurs circonstances se réunissent pour favoriser ce projet.
La route de Téhéran e t de Bagdad, qui conduit les pèlerins aux
villes saintes en passant par le Djebel-Shomer, est infiniment
plus économique, plus commode et plus sûre, que l’itinéraire trop
souvent suivi. Les caravanes de Perse, tantôt p rennent le chemin
du nord de la Syrie, tantôt longent les côtes de l’Oman, de l’Ha-
dramant et de l’Yémen. Il reste à la vérité la route relativement
courte et facile qui traverse le Nedjed, mais l’intolérance
des Wahabites l’a rendue presque impraticable aux sectateurs
d’Ali, ces mécréans, dont le passage souillerait la terre des
saints. Pour Télal, sunnites e t shiites sont tout un, et il n’entre
pas dans son caractère de soumettre à des taxes vexatoires les
pèlerins dont les opinions religieuses ne s’accordent pas avec la
sienne.
Il met donc en oeuvre toute sa diplomatie pour engager les
caravanes de la Perse à prendre la route d Hayel de préférence
aux autres ; les autorités de Bagdad et de Meshid-Ali se
montrent fort disposées à seconder ses desseins, et le Shah lui-
même déclare les approuver hautement. Aussi, bien que ce proje
t rencontre encore quelques obstacles, la capitale du Djebel-
Shomer voit tous les ans affluer dans ses murs un plus grand
nombre de bonnets coniques e t de robes fourrées; témoin de
l’arrivée d’une caravane, j ’ai entendu les Persans qui la composaient
exprimer, dans un très-mauvais arabe il est vrai, combien
ils étaient reconnaissants de l ’accueil que leur avaient fait
Télal et son frère.
Tel était le sujet ordinaire de notre conversation dans le kha-
wah de Mêtaab. J ’ai cru devoir entrer dans des détails circonstanciés
afin d’initier mes lecteurs au véritable mouvement des
idées en Arabie, mouvement non moins ignoré dans notre pays
que la configuration géographique de la Péninsule. Il est sans
doute fort utile de déterminer la position des montagnes, le cours
des fleuves, le caractère géologique des te rrain s, en un mot, les
faits relatifs à la n atu re physique. J’ai donné à cet égard tous
les éclaircissements qu’il m’a été possible d obtenir; mais, dit un
axiome devenu bana l, ta n t la vérité en est frappante : - L’étude
la plus digne de fixer l’attention de l’humanité est celle de
l ’homme, » et j ’aurai peut-être mieux servi les intérêts de la
science en essayant de soulever le voile qui cache à nos regards
le monde moral de l’Arabie, qu’en observant ses plus curieux
phénomènes matériels.
Nous étions depuis environ trois semaines à Hayel, nous connaissions
les projets du roi, son système de conduite, et nous nous
demandions s’il ne serait pas convenable de lui révéler le b u t réel
de notre voyage. Nous savions dans quels termes, demi-hostiles,
demi-pacifiques, il était avec les Wahabites et les Turcs; nous
avions pu observer à loisir les sentiments du peuple, la tendance
du gouvernement. Chaque jo u r arrivaient des envoyés du Kasim
et d’Oneyzah, et la manière dont ils étaient reçus ne laissait a u cun
doute sur les opinions politiques et religieuses du pays.
Nous avions eu de longs entretiens avec plusieurs de ces messagers,
nous les avions entendus discuter sur les intentions de Télal,
et se demander avec angoisse quelle conduite il suivrait, car si
le Kasim lui inspirait une vive sympathie, des liens héréditaires
l ’unissaient au roi du Nedjed. Les renseignements favorables
que j ’obtenais ainsi sur le monarque du Djebel-Shomer me
paraissaient avoir plus de poids encore que les éloges donnés p a r
ses propres sujets.
Nous crûmes le moment venu de répondre par la franchise à
l’extrême bienveillance que le prince nous témoignait; jusque
là, nous avions accueilli ses avances avec une sorte de froideur,
mais l’équité nous faisait un devoir de lui apprendre le secret
qu’évidemment il désirait connaître, puisque nous étions assurés
maintenant de la noblesse et de la loyauté de son caractère.
D’ailleurs, les bonnes dispositions de Télal envers nous ne
l’empêchaient pas de conserver quelques vagues soupçons qui
pouvaient aisément devenir u n péril. De plus, nous avions b esoin
de son assentiment afin de nous rendre dans le Nedjed, car
un passe-port revêtu de la signature royale est indispensable
p our franchir la frontière; privés de ce sauf-conduit, nous n’aurions
pas trouvé un guide qui consentît à nous conduire, et vouloir
nous aventurer seuls sur une route inconnue eût été un
acte de folie. O r, comment supposer que Télal nous autorisât à
passer dans un pays qui lui était secrètement h o stile, tan t qu’il
conserverait des doutes à notre égard? Nous n ’avions donc
d ’autre moyen d’obtenir sa protection que de lui avouer sans
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