
certains écrivains nous représentent l ’hospitalité franche et
cordiale, l ’inviolable bonne foi des nomades de la Péninsule, ne
s’accordent par toujours parfaitement avec la réalité. Les exemples
d une perfidie froide et calculée ne sont pas rares p armiles
Bédouins ; les étrangers placés sous leur protection, leurs frères
du désert eux-mêmes, tomhent souvent victimes d’affreux guet-
apens. Egarer les voyageurs dans le désert jusqu’à ce que, épuisés
de soif et de fatigue, ils soient devenus une proie facile, les
piller et les laisser ensuite mourir, sont des actes trop fréquents
pour être regardés comme de simples exceptions. Il y a quelques
années à peine, une nombreuse caravane, composée principalement
de riches Israélites qui traversaient le désert pour se rendre
de Damas à Bagdad, fut indignement trah ie p a r les Bédouins et
p é rit to u t entière sans excepter u n seul homme; les guides
perfides qui l ’avaient amenée dans ce lieu s ’enfuirent et se tinre
n t à l’écart jusqu’à ce qu’ils fussent bien sûrs que la soif et
le soleil avaient accompli le u r oeuvre de m ort; ils revinrent en
suite et se constituèrent les héritiers uniques de leurs trop
confiants compagnons. J ’ai v u , pendant mon séjour en Arabie
un grand in-folio en langue hébra ïque, pris à l’un de ces malheureux
juifs. Le nomade auquel ce livre était échu dans sa p art
de butin, l’avait apporté jusqu’à la ville d’ffayel, espérant ainsi
rendre son crime plus profitable p a r la vente d’un ouvrage qui
selon les opinions de l’Orient, avait d’au tan t plus de prix pour
les acquéreurs qu’on le comprenait moins.
Quant à Salim, malgré la défiance que son extérieur et ses
antécédents pouvaient inspirer, son bon sens e t son caractère
ferme nous paraissaient des gages suffisants de sécurité; car il
y a toujours moyen, dans une certaine mesure, de s’assure r la
fidélité d’un homme intelligent e t brave. Mais je n ’en saurais
dire au tan t de ses deux compagnons, Ali et Djordi » Bédouins
S h e ra ra t qui étaient de véritables sauvages, féroces, capricieux
d ’un esprit inculte et borné. Salim lui-même nous conseillé
plus d une fois d’éviter toute familiarité avec eux, afin de ne pas
diminuer la crainte sa luta ire que le barba re éprouve toujours
p o u r l ’homme civilisé.
Une tunique longue et sale, tombant presque ju sq u ’à la. cheville,
un mouchoir de coton noir lié autour de leu r tête par une
corde de poil de chameau, un burnous déguenillé à raies b lan ches
e t brunes, une ceinture de cuir usé à laquelle pendait un
couteau couvert de rouille, un lourd fusil à mèche, une longue
lance aiguë, une poire à poudre grossièrement raccommodée
avec de la ficelle, tel était l’attira il de ces dignes camarades, et
tel est du reste celui de tous les Bédouins en voyage. Salim
avait des vêtements à peu près semblables, seulement plus
propres et en meilleur état.
Mon compagnon et moi, nous portions le costume ordinaire
de la classe moyenne en Syrie, costume que nous avions déjà
emprunté pour nous rendre de Gaza à Maan et qui nous avait
épargné les remarques curieuses, les questions indiscrètes auxquelles
nous aurions pu être exposés dans ce pays, désigné p a r
la p lu p a rt des voyageurs sous le nom ta n t soit peu pédantesque
d’Arabie Pètrèe. Nous avions revêtu la longue et épaisse tunique
de toile d’Egypte, le pantalon flottant, les larges bottes de cuir
rouge en usage chez les Orientaux ; enfin des mouchoirs aux
vives couleurs, retenus par d’élégantes bandelettes, composaient
notre coiffure.
Les grands sacs de voyage suspendus aux flancs de nos ch a meaux
renfermaient des toilettes plus riches, que nous déro ■
bions soigneusement aux regards des Bédouins, nous proposant
de leu r faire voir le jo u r quand nous aurions a tte in t des districts
moins pillards et plus civilisés. Cette réserve se composait de
burnous, de combaz syriens, de mouchoirs où le coton plébéien
alternait avec des rayures de soie, de ceintures de fines étoffes
aux dispositions variées, toutes choses absolument indispensables
pour soutenir le rôle que nous avions pris. Je me donnais pour
.médecin-voyageur, un empirique, si mieux vous l ’aimez ; aussi
un costume recherché était-il nécessaire pour me gagner la
confiance des clients. Mon compagnon, que p a r une légère a lté ration
de la vérité j ’appelais mon frère, (frère dans le Christ) se
faisait passer quelquefois pour un marchand, quelquefois pour
mon élève ou mon associé.
Notre pharmacie se composait d’un petit nombre de drogues,
renfermées dans des boîtes d’étain bien closes, que nous avions
enfouies, pour le moment, au fond de nos sacs de voyage. Cinquante
de ces boîtes au ra ien t suffi pour tu e r ou g u érir la moitié
des malades de l’Arabie. Quant aux médicaments liquides, nous
avions a u ta n t que possible évité de nous en charger, non-seule