
beaucoup d’autres égards, et qu’ils ne manquent ni de clarté
dans les idé es, ni de certaines connaissances, ce sont de vrais
enfants quand il s’agit de médecine. Aussi leurs Esculapès ont-
ils besoin d’une grande patience, d’un fonds inépuisable de
bonne h um e u r, voire même d’un peu de charlatanisme; car les
clients regardent les médicaments comme des charmes qui
doivent amener instantanément la guérison, e t cela, sans observer
ni la diète ni le moindre régime hygiénique. Si, au bout
d’u n jo u r ou d eu x , le malade n ’est pas rétabli,- ils s’écrient
aussitôt : « Ces remèdes-là ne produisent aucun bien. » Et ils
abandonnent médecine e t médecin. Il est donc préférable,
quand on peut le faire en conscience, d’employer dès le début
un tra item en t énergique ; l’homoeopathie et la médecine expectan
te au ra ien t ici très-peu de succès. J ’ajouterai que les rudes
habitants de la Péninsule ont en général besoin de doses qui en
Europe aura ient des conséquences fatales, e t l’expérience m’app
rit bientôt q u’il fallait doubler les quantités prescrites p ar mon
manuel.
Mes lecteurs désirent peut-être avoir des renseignements sur
le degré de science médieale qui existe de nos jo u rs dans la
P éninsule; car les Arabes passent, aux yeux de bien des gens,
p o u r avoir été, sinon les inventeurs, au moins les re stau ra teu rs
de l ’a r t de g u é rir en Europe.
C’est là une erreu r. Tout ce que savaient les médecins de
Bagdad on de Cordoue, ils l’avaient emprunté à Hippocrate ou à
Galien, à la Médecine d’Aristote ou aux Traités de Celse. Ces tra vaux,
reproduits avec plus ou m oins d’exactitude dans la langue
nationale, et mis entre les mains d’hommes qui n’avaient d a u tr
e titre de se dire Arabes, sinon qu’ils écrivaient en arabe, et
professaient la foi mahométane, devinrent aussitôt la base et le
couronnement, l’alpha et l’oméga de to u te la science. Les siècles
suivants n’y ajoutèrent rien , sauf quelques listes fort incomplètes
de plantes persan es, africaines e t égyptiennes, et leurs traites
indigestes scrnt restés ju sq u ’à ce jo u r le nec plus ultra de 1 enseignement
médical arabe.
Ces premières lu e u rs de la science ne ta rdèrent pas à etre
éteintes par l’islamisme. Les oracles de Mahomet, oracles peu
fa its pour assure r au Prophète une place parmi les médecins
du corps, furent substitués aux formules de Galien ou aux p ré ceptes
d'Hippocrate ; combattre les théories médicales du chamelier
de la Mecque devint une coupable hérésie qui pouvait
amener les plus fâcheuses conséquences. L’intervention directe
e t fatale de l’omnipotence divine, admise comme article de foi,
empêcha l’esprit de recherche et d’analyse de se développer,
puisqu’elle rapporta tous les phénomènes n atu re ls à une seule
cause immédiate, universelle et arbitraire. Étudier l’anatomie
fut considéré comme une impiété, une violation des droits de
Munkar et Nékir, les anges du tombeau ; attribuer à une plante
des qualités nuisibles ou salutaires p a ru t un crime non moins
irrémissible, c’était rendre à la créature u n honneur exclusivement
dû au créateur. Et que l’on ne croie pas que j ’exagère ; j ’ai
entendu cent fois des hommes sages et intelligents dans les
affaires ordinaires; de la vie, exprimer ces opinions bizarres.
Ainsi, complètement dépourvus de connaissances anatomiques,
étrangers à la science pratique comme a la théorie, les maho-
métans sont aujourd’hui pétrifiés, pour ainsi dire, dans une
invincible ignorance.
On peut ju g e r p ar là de ce qu’étaient les écoles de Syrie, de
Bagdad, d’Espagne et même celles d’Egypte jusqu’au règne de
Méhémet-Ali. Les Arabes, quoique moins soumis à l’énervante
influence de l’islamisme et préservés p a r leu r bon sens pratique
des conséquences extrêmes de la foi qui le u r avait été imposée,
devaient cependant puiser leu r science médicale dans les leçons
de maîtres fanatiques, ou bien dans de vieux e t informes m anuscrits.
Le fer aiguise le fer, l’éfeprit de l’homme aiguise l’esprit
de l’homme, e t les relations avec d’antres peuples sont la condition
première du progrès des États. Entourés p a r un e me r de
sable, les Arabes ont été privés de tout commerce avec les pays
v o isin s,'e t l’on doit s’é to n n e r, non qu’ils- soient restés station-
naires dans la voie d e l à civilisation, mais qu’ils n’aient pas
rétrogradé davantage ; des circonstances moins défavorables ont
suffi pour faire retomber plus d’une nation dans un e complète
barbarie. Chez la race arabe, le sol était fertile, mais la semence
e t le semeur ont manqué à la fois; enfin l’atmosphère waha-
bite, ce mahométisme à sa plus grande puissance, s’est étendue
s u r la moitié de là P é n in s u l e e t elle a étouffé ce qui resta it
encore de vitalité latente.
Le résultat d’une telle situation est facile à prévoir. Les mé