
Londres, il y a environ tren te ans, cet inlxépide et loyal officier
conseille un expédient plus honorable et plus sûr. « La profession
de médecin ou de marchand est, dit-il, la plus propre à préserver
un voyageur de to u t soupçon ; elle lui fournit un prétexte
plausible pour étudier le pays et les habitants, sans employer
des moyens qui me paraissent au moins douteux. » Je n ’avais pas
lu la publication du capitaine Welsted lorsque j ’entrepris mon
voyage ; ce fut plusieurs mois seulement après mon retour en
Angleterre qu’elle me tomba sous la main, et j ’éprouvai une
vive satisfaction en voyant ma conduite approuvée par une aussi
imposante autorité.
Avant de reprendre mon récit, je dois encore constater un fait
assez curieux. On croit généralement que les Arabes ont pour
les chrétiens une aversion extrême, et l ’on attribue à la haine
religieuse la plupart des périls qui, dans ce pays, entourent les
étrangers. Ceci me paraît une e rreu r. Avouer que l’on est chrétien
n’expose en Arabie, — La Mecque exceptée, — à aucun danger,
ni même à aucun inconvénient sérieux. De quoi donc fau t-
il se garder ? car il est certain que l’on ne peut entreprendre une
exploration dans la Péninsule sans exposer sa vie. Ce que le
voyageur doit surtout éviter, c’est d’être reconnu pour un Européen,
ou un agent des Européens ; cette découverte lui deviend
ra it certainement fatale ; le moins qui pût lui arriver, serait
d’être conduit à la frontière sous une étroite surveillance. Quoique
l es titres de chrétien et d’Européen soient en réalité souvent réunis
dans la personne d’un explorateur, l’esprit de l’Arabe ne les
associe pas nécessairement, et les périls du voyage, sont attachés
à la seconde de ces qualités, non à la première. Il en résulte que
si l’étranger réussit à se faire passer pour un Asiatique, sa re ligion
ne lui fait courir aucun risque. S’il est sage cependant, il
évitera surtout dans les districts fanatiques, d’étaler avec ostentation
ses croyances devant des hommes qui les ont en horreur ;
il ne p rétendra pas imposer aux autres des pratiques et des idées,
louables en elles-mêmes assurément, mais dont l’étalage serait
ici hors de saison. Qu’il garde pour lui sa foi, sans offenser celle
d’autrui, et qu’il suive tranquillement sa route, aucun Arabe bien
élevé n’aura l’impolitesse de lui faire des questions. « Ed-din
l’Illah, » (La religion ne regarde que Dieu), — telle est l’axiome,
la règle des habitants de la Péninsule. Si quelque mal appris
a l’impertinence de l’interroger, qu’il se contente de répondre
froidement : * Kullon lahu medheb, » (chaque homme a ses pensées
particulières), les assistants applaudiront unanimement sa
discrétion et imposeront silence à l’importun.
Personne n’est obligé * d’ouvrir son coeur pour le donner en
pâture aux corbeaux ». Il y a sans doute des occasions où
une profession de foi ouverte devient un devoir ; mais la vie
ordinaire ne réclame pas un si mâle courage; les clients d’un
médecin s’occupent peu de ses croyancësetne demandent qu’une
seule chose, c’est que ses remèdes soient efficaces. Je le répète,
irrite r gratuitement par d’intempestives démonstrations religieuses
ceux qui nous entourent, c’est l ’effet d’un zèle peu éclairé, dont
il ne saurait résulter aucun bien. Se p rosterne r dans le temple
de Baal est chose très-délicate, qui ne saura it être permise que
dans des circonstances tout à fait exceptionnelles ; je ne crois pas
néanmoins que l’on accomplisse une oeuvre méritoire en maudissant
Baal dans son propre temple, au risque de pousser ses
adorateurs aux plus coupables extrémités. Un W ahabite ne m altraitera
pas un voyageur, ne le m e ttra pas à mort simplement
parce qu’il est chrétien, mais il ne l’épargnera pas s’il pense que
cet étranger cherche à faire de la propagande, s’il le voit insulte
r à la religion du pays, étaler la sienne avec ostentation. En
un mot, un Européen peut p arcourir l’Arabie et m ême le Nedjed
sans compromettre ni sa foi ni son honneur, à la condition cependant
d’agir avec une extrême prudence, de connaître parfaitement
les usages orientaux, et de parle r au moins une des langues
du Levant. Un coeur ferme, une conscience tranquille, e t la
protection, de Celui qui tie n t dans sa main les destinées des
hommes, mèneront l’entreprise à bonne fin.
Bien des dangers, bien des obstacles traverseront la route de
l ’explorateur; le ciel le plus p u r s’assombrit to u t à coup, et il
arrive rarement que le malheur ne réclame pas au moins une
des vingt-quatre heures qui composent le jour. Mais toutes choses
considérées, le plan de conduite que j ’ai suivi est assurément le
meilleur, peut-être le seul qui offre quelque chance de succès.
Une dernière remarque pour conclure. Un Européen, comme
je viens de le dire, n ’expose nullement sa vie en avouant sa r e ligion
; peu de gens dans l’Arabie centrale se font des chrétiens
une idée précise. Les uns les regardent comme des mahométans