
Si j ’ai mentionné cette opinion puérile, c’est à cause de son
analogie frappante avec les motifs, qu’en d’autres pays on a ttr ibue
parfois à la Providence quand il survient une récolte bonne
ou mauvaise, un tremblement de te rre, un incendie, etc.
Des arbres à fruit de dm rs e s sortes, semblables à ceux du
Shomer, mais plus productifs, se rencontrent également ici. Les
villages sont entourés de fertiles champs de blé, de maïs, de
millet, sans p a rle r des melons et autres plantes potagères; mais
la nécessité d’une irrigation artificielle empêche les cultures de
s’étendre.
Un autre p roduit du Kasim, dont la vue me charmait comme
celle d’un vieil ami, était un cotonnier exactement semblable à
celui que, bien des années auparavant, j ’avais vu dans le Guzze-
ra t et dans le Kutch. Les habitants savent l’utiliser, mais ils ne
le cultivent pas su r une assez grande échelle pour fournir à
l’exportation. Dans des circonstances plus favorables, il ajouterait
beaucoup à la richesse du pays, car le climat et le sol se
réunissent pour donner à la plante une vigueur suffisante; sa
récolte n’est pas moins abondante ici que dans l’Inde, et la qualité
ne me paraît nullement inférieure.
Je rencontrai aussi pour la première fois, aux environs
d’Eyoun, une plante narcotique très-commune dans le sud de
l’Arabie, e t douée de propriétés fort singulières. Ses graines,
réduites en poudre, produisent des effets assez semblables à
ceux du gaz hilarant; le sujet auquel on l’administre chante,
danse, r it aux éclats, amuse l’assistance du spectacle de ses
folies pendant une heure au moins, puis il tombe dans un p ro fond
sommeil; quand il revient à lui, il a perdu complètement
le souvenir de ce qui s’est passé. Mettre une pincée de cette
poudre dans le café d’u n visiteur sans défiance, est une p la isanterie
fort goûtée chez les Arabes, e t je n ’ai jamais entendu
dire qu’elle ait causé aucun accident sérieux. J ’ai fait moi-même
deux épreuves de ce genre ; les doses que j ’avais administrées,
assez faibles pour n’étre nullement dangereuses, provoquèrent
une scène fort risible. La plante qui porte ces graines atteint à
peine, dans le Kasim, la h au teu r de six pouces, mais dans l’Oman,
j ’en aivu qui formaient des buissons de trois ou quatre pieds; les
tiges sont ligneuses e t couvertes d’une écorce ja u n â tre ; les
feuilles, pennées, portent de chaque côté une vingtaine de folioles ;
tes fleurs/jaunes, garnies de nombreuses anthères, croissent
en touffes ; le fruit a la forme d’une capsule ; il renferme deux
ou trois semences noires, de la grosseur d’un haricot, qui sont
logées au milieu d’un duvet verdâtre; leur goût est assez fade,
leur odeur forte et nauséabonde. A Sohar, dans l’Oman, où cette
plante est très-commune, j ’en avais recueilli plusieurs échantillons,
qui furent perdus, avec beaucoup d’autres objets, lors
du naufrage que j ’essuyai su r les côtes du golfe Persique.
Le Stramonium datura, dont les propriétés médicinales et vénéneuses
sont bien connues, croît également dans le Kasim,
mais je cherchai vainement le chanvre indien qui sert à préparer
le hachich; personne, à mon grand étonnement, ne paraissait le
connaître. Le pays ne produit pas de café; on le tire de l’Yémen,
quelquefois p a r la route de la Wadi-Nedjran, le plus souvent
p a r celle de La Mecque. Des articles de fabrication égyptienne ou
européenne viennent également p a r cette voie; ainsi j ’ai vu,
dans les boutiques de Bereydah, des boîtes d’amadou phospho-
risé qui, expédiées de Yienne, avaient traversé les villes saintes
de l’Arabie. Les Kasimites entretenaient autrefois avec Damas
d’actives relations commerciales, qui étaient pour eux une source
de richesse, mais le despotisme wahabite les a fait entièrement
cesser. La route de Bereydah aux provinces syriennes ne tra verse
pas le Djebel-Shomer, elle passe à Kheybar, et de là, va
rejoindre la grande voie des Pèlerins.
Les détails que j’ai donnés déjà sur les habitants ont dû permettre
au lecteur d’apprécier leur caractère ; ils sont légèrement
inférieurs aux Shomérites et aux Nedjéens sous le rapport de
la beauté physique, mais ils les surpassent p ar les aptitudes
commerciales et industrielles ; ils unissent la franchise, la bonne
humeur des premiers à l ’énergie, au patriotisme des seconds.
Les Kasimites, il est vrai, empruntent aussi à l’Hedjaz quelque
peu de son esprit rusé, inquiet, turbulent, et l’on pourra it trouver
dans leu r conduite plus d’une trace de l’étroit égoïsme qui
distingue La Mecque et Médine. Néanmoins, le type du Shomer
prédomine en eux; gouvernés p ar des maîtres meilleurs que
les despotes wahabites, ils seraient capables de nobles destinées.
Dés relations fréquentes avec la ville sainte leu r ont inspiré,
pour l’islamisme, u n dévouement que l’on chercherait en vain
dans les autres provinces centrales. Ce réveil de la foi musul-
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