
teurs ; il pardonne aisément une e rreu r ou un oubli, mais le
mensonge le trouve sans pitié ; quiconque l’a trompé une fois
doit perdre tout espoir de regagner jamais sa faveur.
Dans la vie privée, il abandonne volontiers la gravité officielle
; il rit, il écoute des vers et des légendes ; parfois même,
quand il est en compagnie de ses amis les plus intimes, il
se livre au p laisir défendu de fumer. La politique, plutôt que
l’amour, semble avoir dicté le choix de ses alliances matrimoniales.
Il a trois femmes: l’une est fille de Feysul, la seconde
appartient à la plus ancienne famille du pays, la troisième
est une de ses propres parentes, issue comme lui d e là
tribu de Djaafar. Il a cherché ainsi à concilier des intérêts bien
opposés, et à se ménager p arto u t des appuis. Ces différentes
épouses lui ont donné trois fils : l’aîné, nommé Bedr, a une douzaine
d’années; le second s’appelle Bander, et le troisième Abdallah
; c’est un gentil et intelligent enfant de cinq à six ans.
Télal a aussi des filles, mais on n ’en parle pas, car ici, comme
dans to u t l’Orient, une sorte de réprobation pèse sur la femme.
Ce préjugé des anciens jours, fortifié p a r 1 influence du mahométisme,
persistera sans doute longtemps encore en Asie.
Le règne prospère et glorieux de Télal dure maintenant d e puis
vingt années. Le sage monarque a su mettre en possession
de l’ordre e t de la civilisation des États qui naguères formaient
la partie la plus b arb a re du continent arabe ; grâce à lui, le
commerce et l ’industrie se développent dans des régions q u in e
connaissaient que la guerre e t le pillage.
Ahdel-Mahsin s ’en tre tin t longtemps avec nous, et la matinée
s'avançait quand il nous quitta pour aller à l’audience publique,
oùsa présence était nécessaire. Le roi, nous dit-il, avait l’intention
de nous recevoir aussitôt après. Il est permis de supposer qu’il
a llait rendre compte à son maître de notre entretien, et de ses
conjectures au sujet des mystérieux étrangers.
Le soleil brilla it au milieu d'un ciel sans nuages, mais la façade
du palais étant tournée vers l’ouest, les bancs se trouvaient encore
à l’ombre. Des groupes d’Arabes, les uns Bédouins, les
autres habitants d’Hayel remplissaient la cour. Vers neuf heures,
Télal, richement vêtu et suivi d’une vingtaine de serviteurs
armés, sortit du château en grande pompe et vint avec son frère
Mohammed prendre place sur l’estrade élevée auprès du porche.
Abdel-Mahsin et Zamil s ’assirent à -se s côtés, tandis qu’une
soixantaine d’officiers et de soldats se rangeaient autour du
prince Nos compagnons Sherarat, les chefs Azzam, étaient accroupis
sur le sol, en face de Télal, tenant chacun à la main l’inévitable
bâton dont les Bédouins se servent pour conduire les
chameaux ; une foule de spectateurs étaient réunis autour d’eux,
car la présentation devait être brillante.
« Combien d’Européens donneraient la moitié de ce qu’ils
possèdent pour assister à une semblable solennité! » pensais-je,
surpris moi-même de notre sécurité au milieu de cette multitude.
Peu de voyageurs en effet ont assisté aux scènes de la vie
arabe, un plus p e tit nombre encore les a fidèlement décrites.
Des tableaux imaginaires, dans lesquels les Bédouins sont représentés
comme des chevaliers errants, grands redresseurs de
torts, la description de quelque ville des côtes, façonnée à l’image
des cités tu rq u es, ou bien encore des légendes apocryphes et
sentimentales, voilà to u t ce que nous possédons sur l ’intérieur
de la Péninsule. Mais ni le désert syrien, ni les plaines de l’Hed-
ja z ,n ile s ru es de Moka, moins encore celles de Damas ou de
Bagdad ne sont un théâtre propre à l’étude du véritable caractère,
des véritables coutumes de l’Arabie.
Le savant Pococke, le .fidèle Niebuhr, Burckhardt, si riche de
renseignements et de curieux détails, W a llin , si exactement
vrai, mé ritent les p lus grands éloges et la plus entière confiance.
Nul plus que moi ne rend justice à leur mérite, et l’on ne doit
pas m’accuser d’obéir à u n esprit étroit de jalousie ou de dénigrement,
si j ’ajoute que le temps et les circonstances, ces maîtres
impérieux qui font courber la volonté humaine, ont limité
le champ de leurs observations. Ils ont visité les frontières de
l’Arabie, mais les provinces de l ’intérieur sont restées fermées
pour eux; or, il est en des nations comme des individus, une
description du pied ou de la main, si parfaite qu elle soit, ne
saurait donner une idée complète du visage ou des proportions
du corps. « Ex pede Herculem » est un excellent adage, mais il
ne s’applique pas toujours à la nature humaine.
Pendant que j ’étais plongé dans mes réflexions, les chefs Azzam
p résentaient leurs hommages à Télal, avec l ’air gracieux de
chiens pris en faute qui se couchent devant le piqueur, lorsque
celui-ci les fait re n tre r à coups de fouet dans le chenil. Télal