
cinquante pieds, tandis que chaque côté en mesure vingt au
moins. Cette to u r p a ra ît d’une époque moins ancienne que le
reste de la citadelle ; elle est protégée p a r des meurtrières et
entourée d’une large courtine, plus récente encore, comme
l’atteste son défaut absolu d’a rt e t de régularité. Le portail,
placé à l’angle sud de ce bizarre édifice, doit être de la même
date que la to u r principale ; il est cintré, et en ceci diffère de
l’architecture du Nedjed qui n’admet que des rectangles et des
lignes droites. Les cours et les galeries de la citadelle, sont
pavées de grandes dalles irrégulières, comme on en voit dans
quelques rues de Florence ; les couloirs qui donnent accès dans
l ’in té rieu r sont longs, obscurs et voûtés. Sur l’un des murs
latéraux, je rema rqua i deux croix profondément sculptées dans
la p ie rre et certainement fort anciennes ; elles sont une nouvelle
preuve du développement que la religion chrétienne avait
pris dans la Péninsule avant l’ère de Mahomet.
Une foule de serviteurs, armés d’épées et de fusils, remplissaient
les antichambres du château ; ils étaient passablement
vêtus, mais n ’avaient pas de costume particu lie r; les uns nous
regardaient bouche b éante, les autres nous sa luaient, tandis
que nous nous avancions vers une seconde cour située au pied
du donjon et que nous entrions dans le Khawah, vaste et sombre
pièce bordée de bancs de pierre.
Le gouverneur nous y attendait, assis à la place d’honneur
qu’il ne cède jamais à aucun h ab itan t de Djowf, quelles que soient
sa naissance et sa fortune. C’était un homme grand, fort, aux
larges épaules, aux yeux noirs, aux sourcils épais. Il p o rta it la
longue tunique blanche des Arabes, à. demi cachée p a r un magnifique
manteau no ir, brodé de soie cramoisie; u n tu rb a n de
soie, re ten u p a r une bandelette de fin poil de chameau, ornait
son auguste tête, et ses doigts agitaient un éventail de tissu d’é-
corce. Il se leva gracieusement à notre approche, nous ten d it la
main, e t nous fit asseoir à ses côtés, en ayant soin toutefois de
placer Ghafil entre lui et nous, afin d’empêcher toute surprise et
toute trahison de n otre p a rt, car un Arabe, quand il voit de nouveaux
visages, est toujours su r ses gardes. Il montra d ailleurs
beaucoup de politesse et de bienveillance, demanda comment
nous avions supporté le fatigant voyage que nous venions de
fa ire , vanta beaucoup Damas e t ses habitants p a r manière de
compliment indirect, et nous offrit enfin de loger au château.
Ghafil intervenant, fit valoir le droit qu’il avait d’être notre
hôte, et refusa en notre nom l’hospitalité d’Hamoud. Nous p ré sentâmes
alors à Son Excellence une livre de. notre meilleur
café, qu’elle accepta sans se faire p rier, nous assurant en
reto u r ses bons offices. « Nous ne demandons rien, dis-je,
si ce n’est qu’Allah vous accorde une longue vie. » La politesse
arabe exigeait cette réponse , qui ne nous empêcha
pas d’exprimer le désir d’avoir des le ttres de recommandation
pour nous rendre à Haye], où nous avions l’intention
de nous placer sous le patronage immédiat de Télàl. Le gouverneur
promit de nous aider de to u t son pouvoir e t il tint
parole.
Il va sans dire que l’on servit les dattes e t le café. Les tro is
Shomérites qui forment le conseil privé d’Hamoud, étaient
d’abord restés silencieusement assis près du foyer su r une pla teforme
de pierre ; mais quand la liqueur favorite des Arabes circula
parmi les convives, ils se joignirent familièrement à la conversation.
Ces hauts fonctionnaires paraissaient âgés d’environ
quarante ans, leu r physionomie exprimait la franchise e t la cordialité,
et ils portaient le léger turban moucheté de rouge e t de
bleu qui est particulie r aux habitants du Djebel-Shomer. Ils
nous semblèrent de beaucoup supérieurs, sous le rap p o rt du
développement intellectuel, aux Djowfites et au gouverneur
lui-même qui, assez adroit dans la conduite des affaires, est
resté cependant une sorte de demi-Bédouin, dont les manières
sont parfaitement appropriées au peuple q u ’il gouverne. Les
trois conseillers, avec a u tan t de tact que d’adresse, su ren t amener
l ’entretien su r ce q u ’ils désiraient savoir; ils nous témoignèrent
un vif inté rêt, e t nous engagèrent à nous rendre sans
re ta rd à Hayel, nous promettant la protection de Télal. C’é ta it la
première fois que nous entendions parler le p u r a rabe de l’in té rieur,
la vraie langue du Coran, avec toutes ses inflexions, ses
désinences, ses délicatesses, et nous étions frappés de sa grâce
et de son incomparable élégance. Nos oreilles n’étaient pas
moins charmées de ce que nous apprenions su r le Djebel-Sho-
mer ; notre a rt médical y serait hautement apprécié ; Télal était
un nouvel Auguste, u n nouveau Mécène aussi élevé, par son in telligence
e t sa valeur morale, au-dessus du gouverneur Ha