
gna une vive satisfaction de la manière dont nous avions été accueillis
p a r son neveu.
Nous ignorions son véritable caractère. Les Arabes, même
dans l’épanchement d’une conversation intime, n ’oublient ja mais
les lois de la prudence et ils évitent avec soin de parler
d’un absent, surtout quand son retour doit être prochain. Nous
n’avions donc entendu raconter, au sujet d’Obeyd, que des
aventures insignifiantes. Sa haute taille, que l’âge n avait pas
courbée, ses traits fortement accentués, sa tournure martiale
nous prévenaient en sa faveur. Cependant le regard froid de ses
grands yeux gris produisit sur moi un effet étrange; ils semblaient
appartenir à un autre visage, tan t leur expression contra
s ta it avec le reste de sa personne.
Ses paroles respiraient la bonne humeur et la franchise, il
manifesta le désir de faire plus ample connaissance avec nous
afin de nous aider de tout son pouvoir. Ses visites devinrent bientô
t quotidiennes, et il nous invita souvent à dîner dans son
palais, situé, on s’en souvient, juste en face de celui de Télal. Le
vaste ja rd in qui en dépend avait été nouvellement planté et disposé
avec beaucoup d’a rt, car il apportait en toute s chosesl énergie
de son caractère, et il ne déployait pas moins d activité pour
faire creuser u n puits que pour brûler un village ou exterminer
des infidèles. Chaque soir, étendu su r des tapis à l’ombre des
arbres, il se délassait des fatigues du jo u r en s’entretenant avec
des amis dont les opinions étaient semblables aux siennes. Il
nous priait d’ordinaire à ses * soirées, » et cherchait à profiter de
l ’abandon auquel invitait le calme de la nature pour découvrir
nos sentiments su r les questions politiques et religieuses. Il
réu ssit en effet à deviner en partie qui nous étions et les motifs
qui nous amenaient à Hayel. Tout ceci se passait vers l’époque
de nos entrevués avec Télal et Zamil.
Une affection si vive et si subite nous avait inspiré dès 1 abord
quelque défiance ; les avertissements discrets, les demi-mots par
lesquels nos amis cherchaient à nous mettre en garde contre
cette dangereuse intimité, achevèrent d’éveiller nos soupçons.
Abdel-Mahsin ne connaissait pas notre secret, du moins nous
ne lui avions fait aucune confidence particulière, mais p eut-être
en avait-il été instruit p a r Télal, ou bien sa pénétration naturelle
l’avait conduit à deviner la vérité. Quoi qu’il en fût, il avait trop
de savoir-vivre pour paraître informé d’une chose que nous n ’avions
pas jugé à propos de lui apprendre. Quand il connut nos
relations avec Obeyd, la prudence et l’amitié l’engagèrentà nous
raconter en détail l’histoire de ce personnage qu’il nous signala
comme l’incarnation même de l’opposition et de la tyrannie. Peu
de temps après, Obeyd se chargea de nous édifier sur son propre
compte; comme tous les hommes qui jouent un rôle étudié, il
laissa tomber un instant son masque et nous montra sa hideuse
ligure.
Un matin il m’envoya chercher pour visiter un de ses serviteurs,
qui était souffrant. Je me rendis à son palais accompagné
de Barakat. Après avoir prescrit le traitement que le malade devait
suivre, nous nous entretînmes avec Obeyd; la conversation
s’engagea sur les événements qui se passaient dans les pachaliks
de Syrie et de Bagdad, sur l’influence chrétienne et la réaction
mahométane. Le prince observa d’abord la modération qu’il affectait
en notre présence ; i! sembla même saluer avec joie les
perspectives de progrès et de civilisation qui s’ouvraient pour
l ’Orient; mais tout à coup, ses sentiments véritables éclatèrent;
la passion l ’emporta sur J’hypocrisie ; son a ir conciliant et ses
paroles doucereuses faisant place à la haine et à la fu reu r, il se
déchaîna en violentes invectives contre les novateurs chrétiens,
qui voulaient alté re r la pureté de l’islamisme. Puis se to u rn an t
vers nous: * Qui que vous soyez, sachez ceci: quand mon neveu,
et avec lui l’Arabie entière, consentiraient à apostasier, il re ste rait
encore un défenseur des vieilles croyances, ce serait moi ! »
Comprenant q u ’il avait été trop loin, il re p rit aussitôt son expression
bienveillante, son ton d’amicale cause rie , comme si
le soupçon n ’était jamais entré dans son coeur. Mais nous en
avions assez vu, e t nos rapports avec lui cessèrent complètement.
Quelques jours plus ta rd , Zamil nous apprit qu’Obeyd avait eu
avec le roi une longue et secrète entrevue, dont il était aisé de
deviner le motif. Cette circonstance expliquait comment Télal
différait l’audience qu’il nous avait promise ; il rencontrait sur
son chemin un proche parent et un ennemi plus intime encore,
son égal p ar le rang et l’influence, un prince qui rap p o rtait toutes
ses démarches au despote wahabite, et qui pouvait lui suscite
r de sérieux embarras. La position devenait difficile, m ais Télal