
meilleurs amis, je dirais presque un de mes disciples. La cure de
son frère, qu’une quinzaine de jours suffit à opérer, augmenta
encore son attachement pour moi, et il me prouva sa reconnaissance
par une généreuse rétribution. 11 me fournit aussi,
récompense plus précieuse, un grand nombre d’informations sur
l’état politique et religieux du Shomer; je me propose de les
joindre à mon récit quand l ’occasion s’en présentera.
Cependant la cour s’est remplie de visiteurs; au premier rang
j’aperçois un visage bien connu, celui de l’aimable et spirituel
Abdel-Mahsin ; deux jeunes garçons richement vêtus se tiennent
à ses côtés, ce sont les fils aînés de Telal, Bedr et Bander; un
nègre, portant un sabre et enveloppé d’un magnifique manteau,
accompagne les princes. Plus loin sont assis deux citadins, l’un
armé, l’autre ayant à la main un simple bâton. Un artisan au
teint bronzé, dont les vêtements noircis annoncent une profession
mécanique, cause avec un homme qui sans doute, à en
juger par la forme et l’étoffe grossière de .ses habits, est un
paysan des montagnes voisines. Deux Bédouins déguenillés et
sauvages se sont accroupis dans un coin de la cour, tandis qu’un
jeune homme grand, fort brun, qui porte une épée à poignée
d’or, un manteau et un turban dont les éclatantes broderies de
soie exciteraient l’indignation des austères Wahabites, essaie de
lier conversation avec Abdel-Mahsin. Mais celui-ci vient de
demander à Barakat un de mes livres arabes, et cette lecture
l’absorbe entièrement.
Dès qu’Odjeyl s’est retiré, je donne l’ordre d’introduire Abdel-
Mahsin. Il m’apprend que Telal, confiant dans mon h au t savoir,
m’envoie ses deux fils et me prie de m’assurer si la santé des
jeunes princes n’exige pas quelques soins. Ceci, en réalité, est
une petite ruse diplomatique; le roi sait fort bien que les enfants
ne sont pas malades; mais il veut me donner une marque de sa
bienveillance, en contribuant à étendre ma renommée dans la
ville; de plus, bien qu’il ne croie guère à notre profession médicale,
il comprend la nécessité de sauver les apparences devant
le public.
J ’examine Bedr et Bander avec toute la gravité qu’exigerait
une fièvre cérébrale, puis je fais préparer par Barakat une liqueur
agréable et inoffensive, mélangée de cannelle et de sucre, médicaments
que les jeunes héritiers du trône trouvent fort de leur
goût. Pendant ce temps, Abdel-Mahsin, comme le choeur d’Euripide,
s’entretient avec les spectateurs, s’extasiant sur l’habileté
merveilleuse avec laquelle j ’ai découvert la maladie e t appliqué
le remède convenable. Quant aux enfants, ils souhaiteraient
d’être indisposés tous les jours pour prendre une pareille médecine.
Abdel-Mahsin les remet ensuite entre les mains du nègre qui,
avant de les reconduire, me consulte sur une affection fort ancienne,
pour laquelle je lui prescris les remèdes à employer, sans
exiger aucun paiement, car il est utile de se ménager des amis
au palais, et, comme le dit la fable,
On a souvent besoin d’un plus petit que soi.
Les princes partis, Abdel-Mahsin reste chez moi, observant
tout sans en avoir l’air, faisant à propos des réflexions fines
et judicieuses, parlant tour à tour de religion, d ’histoire, de
poésie.
Cependant les visiteurs se succèdent. Le jeune homme porteur
de l’épéeà garde d’o ra naturellement attiré mon attention. Il est
fils de Rosheyd, onele maternel de Telal et habite presque en
fecede notre maison; mais je ne le présenterai pas maintenant
au lecteur, me réservant de faire plus tard ample connaissance
avec lui et sa famille.
Passons maintenant aux deux citadins qui causent, ou plutôt
babillent ensemble. Leur costume est fort simple et leurs traits
offrent une certaine ressemblance ; l’un cependant a une tournure
martiale, l’autre un aspect des plus pacifiques; ce dernier n’est
rien moins que le cadi Mohammed, chef de la justice à Hayel,
par conséquent l’un des premiers personnages de la ville. C’est
un petit vieillard sans prétention, peu soucieux de la gravité
magistrale, et qui appartient à ce que l’on pourrait appeler
le parti modéré, car il est également éloigné du fanatisme des
Wahabites et de l ’hostilité que beaucoup de chefs indigènes manifestent
pour le mahométisme. Comme Telal, il est aimé de
toutes les factions parce qu’il n ’en favorise aucune.
11 vient me consulter pour lui-même et aussi pour son fils,
lourd garçon qui a une tumeur au bras. La connaissance de Mohammed
me fut très-utile ; informé des scandales et des commérages
d’Hayel, il ne demandait pas mieux que de les raeonter.