
gneux; enfin, après beaucoup de compliments et de paroles g ra cieuses,
notre hôte p rit congé de nous, laissant plusieurs membres
de sa famille pour nous servir d’escorte.
Nous atteignîmes assez promptement le grand plateau dont
j ’ai déjà donné la description; pour la première fois depuis que
nous avions quitté Maan, des nuages épais assombrissaient l’a tmosphère,
mais nous étions au 7 octobre, e t les orages de l’automne
n ’avaient pas lieu de nous surprendre. Un vent furieux s’éleva
tout à coup ; le ciel devint si noir qu’à peine pouvions-nous
distinguer notre route. Le Naïb nous racontait, en estropiant
affreusement l’arabe, la plus ennuyeuse histoire du monde au
sujet de la disparition miraculeuse d’une princesse persane,
femme d’Hoseyn et mère du fameux Zeyn-el-Abidin, lorsque la
tempête vint couper court à la conversation. De ¡larges gouttes
d’eau ne tardè rent pas à tombe r; mais les rafales étaient trop
violentes pour permettre à la pluie de tomber. En moins d’une
demi-heure, l ’horizon s’était complètement éclairci, et une brise
délicieuse, qui me rappelait celle des Apennins, avait succédé à
l’ouragan.
Nous nous arrêtâmes vers midi dans une plaine couverte d 'arbrisseaux;
après avoir fait en cet endroit une légère collation,
nous reprîmes la direction de l’e s t, rencontrant de temps à
autre sur notre chemin quelques voyageurs ou quelques paysans,
ce qui n’empêche pas les routes d’être fort solitaires, si on les
compare à celles d’Europe. Toutefois, grâce à la surveillance sévère
exercée p ar le gouvernement, il est fort rare qu’on entende
parler, dans ces distric ts, de vol ou de pillage. Nous arrivâmes
avant la nuit en vue de Medjmaa, ville importante, avantageusement
située au milieu d’une large vallée peu profonde et e n tourée
p a r de luxuriants ja rd in s, qui dépassent en beauté ceux
même de Djeladjil, si souvent célébrés dans les poésies arabes.
La population est d’environ douze mille âmes; les remparts
ont trente pieds de hauteur, e t une imposante citadelle domine
à la fois la cité et la campagne voisine ; enfin des fossés profonds,
toujours remplis d’eau , environnent les fortifications
extérieures.
Medjmaa était la résidence des Sedeyri, chefs puissants qui
gouvernaient au commencement de ce siècle le district entier.
Les monarques wahabites, dont ils s’étaient toujours montrés
les partisans dévoués, avaient d’abord maintenu leur autorité,
et compensé par un pouvoir réel l’indépendance nominale qu’ils
leur enlevaient. Comme le Sedeyr était depuis des siècles l’allié
de l’Ared, que nulle hostilité, nulle jalousie n ’existaient entre
les deux provinces qui forment le coeur même du Nedjed, l’autocrate
wahabite' consentit à se départir de sa politique ordinaire
et à laisser la famille des Sedeyri, représentée alors par
trois frères, Ahmed, Mohammed et Abdel-Mahsin, administrer
en son nom la ville de Medjmaa. Mais quand l’Ared devint la
tête de l ’empire, quand l’influence croissante des doctrines re ligieuses
rendit toute résistance improbable, Feysul résolut d’en
finir avec une influence locale qui gênait ses plans de centralisation.
Ce projet fut mis à exécution avec autant d’habileté que
de prudence; le roi- nomma l’aîné des frères, Ahmed, chef d’une
expédition contre l ’Oman ; puis l’ayant ainsi éloigné, il l’établit
gouverneur d’un petit port de mer wahabite, nommé Bereymah,
ce qui n’était au fond qu’une manière honorable de le bannir.
Le second des Sedeyri, Mohammed, fu t chargé d’u n emploi
subalterne à Hofhouf, dans la province d’Hasa. Restait Abdel-
Mahsin. Pendant quelques années encore, Feysul le laissa exerce
r dans la province l’autorité qui, avant lui, avait appartenu à
ses ancêtres; mais peu de temps avant notre arrivée dans le
Nedjed, il l ’avait dépouillé de son pouvoir et réd u it à la condition
de simple particulier. En même temps, il avait transporté dans
la ville de Toweym le siège de l’administration provinciale, qui
ju sq u ’alors avait été à Medjmaa, et avait nommé gouverneur du
Sedeyr une de ses créatures. Abdel-Mahsin, quoique profondément
irrité, ne se sentit pas assez fort, surtout en l ’absence
d’Ahmed, pour résister au gouvernement wahabite. Il cacha son
ressentiment, s’occupa de ses affaires comme un paisible citoyen,
et attendit patiemment * que la fortune inconstante lui
fournît l’occasion dé venger ses injures. »
Le dernier représentant des Sedeyri nous fit une réception
magnifique. Son palais, où se réunissaient autrefois tous les
nobles de la province, est un édifice spacieux; il nous avait assigné
pour appartements un étage élevé, dont les balcons dominaient
une vue splendide de steppes montagneuses vers le nord
et l’est, tandis qu’à nos pieds des jardins et des bosquets étendaient
leurs masses de verdure. La soirée que nous y passâmes