
ment vers le sud; le chemin nous paraissait cependant d’une
interminable longueur, nous étions si fatigués d’avoir marché
to u t le jo u r au milieu des sables, des rochers, dès broussailles
et des buissons d’épine, que nous déclarâmes d’une voix u n a nime
ne pas pouvoir aller plus loin. Abou-Eysa était un voyageur
intrépide, iln e paraissait jamais éprouver de lassitude, aussi
ne céda-t-il pas sans reg re t à nos justes sollicitations; i l 'd u t
p o u rtan t se résigner à faire halte, des feux fu ren t allumés pour
ôte r à nos voisins des cavernes l’idée de nous rendre d’importunes
visites, et nous nous endormîmes tous paisiblement.
Deux ou trois heures avant l’aube, l’impatient Abou-Eysa nous
fit lever en nous annonçant que les premières lueurs du jour
commençaient à paraître. C’étaient seulement les pâles rayons
de la lune, et notre guide le savait bien ; mais, une fois debout,
nous consentîmes à nous remettre en marche. Bientôt après,
nous arrivâmes au petit village de Rowdah, célèbre p ar la bataille
qui se livra sous ses murs entre Khâlid-ebn-Walid, l ’épée
de la Foi, et Moseylemah, le prophète du Nedjed, dont la mort
assura le triomphe de l ’islamisme en Arabie.
L’histoire de ce rival de Mahomet est bien connue. Né v ers la
fin du sixième siècle de notre ère, il prit, comme son compatriote
de l ’Hedjaz, le titre de Messager de Dieu et se fit, dans l’est de
la Péninsule, de nombreux partisans. Il rechercha d’abord l’a lliance
et la coopération du prophète de La Mecque, mais ses
avances ayant été repoussées avec dédain, il employa to u r à tour
l ’éloquence et la satire pour rendre Mahomet odieux et ridicule
aux yeux des Nedjéens, ce à quoi il réussit pleinement. Dès qu’il
p ara issa it un nouveau chapitre ou sourah du Coran, apporté du
ciel p a r l’ange Gabriel, Moseylemah le travestissait aussitôt, en
m o n tra it l’extravagance e t l’absurdité. Pendant mon séjour au
Nedjed, j ’ai souvent eu l’occasion d’entendre réciter plusieurs
de ces compositions burlesques, que la tradition a conservées
ju sq u ’à nos jo u rs ; comme la plupa rt des parodies, elles avaient
peu de mérite, souvent même elles étaient grossières.
Les doctrines de Moseylemah paraissent avoir eu ce que nou?
appellerions aujourd’hui une tendance socialiste, et bien qu’à
to u t prendre elles fussent plus favorables à la civilisation et au
progrès que celles de Mahomet, elles avaient en apparence moins
de moralité et ne se cachaient pas sous un aussi pompeux étalage
de dignité. On peut les regarder comme la forme primitive de
l’école qui, trois cents ans plus ta rd , p rit le titre de carmalhienne:
le prophète du Nedjed rejetait le fatalisme, admettait jusqu’à un
certain point la médiation entre l’homme et Dieu, et enseignait,
d’une manière fort confuse, il est vrai, le dogme de 1 inc arnation;
mais l’histoire ou la calomnie lui impute un relâchement
de moeurs poussé aux dernières limites. Quand des hommes
d’une époque aussi reculée ne nous sont connus que par le té moignage
de leurs ennemis, il est difficile de savoir la vérité sur
leurs opinions ou leurs personnes. Ainsi Richard III était peut-
être « un homme merveilleusement beau, » et peut-ê tre aussi
Gromwell n'avait-il pas le nez si rouge et si bourgeonné que divers
historiens se sont plu à nous le peindre.
Sur ces entrefaites, un troisième imposteur paraissait dans le
sud-ouest de l’Arabie : c’était une femme, nommée Shedjah;
ses prédications eurent du succès dans l ’Yémen, et a ttirèrent
une foule nombreuse de prosélytes. Mais comprenant qu’il n’était
pas bon pour une femme de rester seule dans la lutte qui se
préparait, elle essaya de conjurer le péril en ouvrant une correspondance
avec Moseylemah ; un sentiment plus tendre adoucit
bientôt la rudesse de la controverse et les liens du mariage fortifièrent
l’union des doctrines. Cette alliance accrut considérablement
le pouvoir de Moseylemah le Menteur, pour employer
l’épithète attachée p a r Mahomet au nom de son riv a l; l’imposteu
r de la Mecque ne jugea pas prudent de se mesurer avec les
imposteurs de Riad et de l’Yémen réunis. Pendant h u it ou dix
ans, Moseylemah jouit sans trouble de l’autorité qu’il exerçait
sur le Nedjed; mais quand les sectaires de l’Hedjaz se furent
aguerris par de vastes conquêtes, que de nombreuses victoires
-eurent exalté leur courage, Abou-Bekr, qui était alors caliphe,
chargea Khalid de contraindre Moseylemah à se soumettre.
La guerre, attisée p a r le zèle religieux e t la haine nationale,
fut sanglante et acharnée ; Khalid, se frayant u n passage ju s qu’à
la Wadi-Hanifah, atteignit enfin Rowdah, où son ennemi
s’était retranché avec ses troupes d’élite, de manière à couvrir
Eyanah, Dereyah , Riad et l’Yémamah. Les forces nédjéennes
étaient si imposantes que Khalid lui-même hésita pendant un
jo u r entier avant de risquer un assaut que son conseil désapprouvait
unanimement. Mais le lendemain matin, son audace
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