
hôtes ; les invitations pleuvaient sur nous et l’on aura it regardé
comme une honte, on aurait cru te rn ir la réputation d’hospitalité
du pays, si l’on nous avait laissés manger deux jours de
suite sous le même toit. Voici comment se passait d’ordinaire
notre journée. Nous nous levions dès l ’aube, et, après avoir soigneusement
fermé la maison, nous allions re sp ire r l’air p u r du
matin dans les bosquets de palmiers qui entourent la ville, ou
bien nous nous dirigions p a r des chemins de traverse, vers les
cultures voisines des sables du désert. Nous restions là une
h eu re sans craindre d’être troublés par la politesse trop attentive
des Arabes, puis nous retournions dans notre demeure au
lever du soleil ; et nous ne manquions jamais de trouver devant
notre porte quelque jeune garçon envoyé par son père, pour
nous inviter à prendre chez lui le repas du matin. Nous suivions
n o tre Mercure à son h ab ita tio n , où nous attendait une nombreuse
réunion, attirée par le désir de nous voir, p eu t-ê tre aussi
par la perspective de savourer une tasse d’excellent café ; car
to u t véritable Arabe, s’il voyait un abîme entre lui et cet irré sistible
aimant, s’élancerait sans hésiter pour franchir le
gouffre, plus sûrement encore qu’un Anglais, afin de saisir son
roastbeef. Nous avions parfois chez nos hôtes l’occasion d’entamer
quelque transaction commerciale; tantôt nous parlions-
médecine et affaires, tantôt nous amenions la conversation sur
des sujets propres à nous instruire de l’état réel du pays. Nous
ren trio n s ensuite dans notre maison, où la foule des acheteurs
ne nous laissait pas ju sq u ’à midi un moment de repos. Nous
nous échappions alors quelques instants pour faire, chez un
voisin, une légère collation, puis nous reprenions notre vente,
à tro is ou quatre heures. Ensuite venait une promenade dans
les ja rd in s , suivie d’un bon souper chez un de nos amis les
Arabes.
Cet important repas a lieu un peu avant le coucher du soleil.
Au Djowf et dans le Djebel-Shomer, la pièce de résistance est
invariablement le djirishah, mets qui se compose de froment
écrasé qu’on fait bouillir et auquel on ajoute du b eu rre , de la
viande, quelquefois des melons, des concombres et même des
oeufs durs; cet assemblage hétéroclite est disposé en forme de
pyramide su r un grand p la t de cuivre d’un pied et demi à deux
pieds de diamètre. On le se rt b rû lan t, et cependant on le mange
avec les doigts; non que les Arabes élèvent aucune objection
morale ou philosophique contre l’usage des fourchettes et des
cuillers comme l ’a ingénieusement imaginé un au teu r français,
mais ces ustensiles sont ici tout à fait inconnus; e t à vrai dire
on n’en éprouve pas le besoin, puisqu’on ne mange ni potage ni
rôtis. Le pain, qui figure souvent au déjeuner, est toujours
exclu du souper. Sa forme et sa qualité varient beaucoup en
Arabie; celui de Djowf est un grand gâteau de forme grossière,
qu’on fait cuire sans y m e ttre de levain. Un p la t de dattes te r mine
ordinairement le dîner ; quel repas serait complet sans
elles? Nulle autre boisson que de l’eau n ’est offerte aux convives
; le dattier fournira it cependant un excellent vin, si l’on
en juge p a r les éloges que les anciens poètes de l’Arabie septentrionale
font de cette liqueur ; mais la mode en est passée aujourd’hui,
et le souvenir même presque effacé.
Après le souper, tous se lavent les mains e t sortent de la
salle pour fumer tranquillement sous le ciel p u r d’u n soir d’été.
Pas de nuages, pas de brouillard, pas la moindre vapeur;, le
disque argenté de la lune se dégage lentement du sommet des
palmiers; les derniers rayons du jo u r sont aussi lumineux que
l’aube elle-même. La conversation continue pendant une heure
ou deux ; puis chacun rentre chez soi pour se liv re r, je pense,
prosaïquement a u . sommeil, car nulle lampe pensive ne brille
au milieu de la nuit. Quant à m o i, je profite de la solitude et
du silence pour écrire mon jo u rn a l, note r mes observations,
apprécier les caractères.
Parfois un autre propriétaire nous invitait à faire, p o u r une
matinée, trêve à n otre commerce, et à venir dans son ja rd in ,
ou plutôt dans son verger, goûter ses raisins et ses pêches;
nous nous asseyions près des treilles, l’ombrage des palmiers
nous protégeait contre l ’ardeur du soleil, e t de nombreux r u is seaux
répandaient une délicieuse fraîcheur. Combien ces heures
de repos, et de bien-être nous semblaient douces après la fa tigue
du désert? Quelquefois aussi cependant des malades avaient
recours à nous; les visites, les consultations nous p ren a ien t une
partie du jo u r, ou bien encore quelque jeu n e Djowfite, avide de
s’instruire, désireux peut-être de voyager en Syrie, nous engageait
dans une longue et sérieuse conversation.
Nous n ’avions pas caché notre titre de chrétiens ; mais il est