
toire, pour jo u ir de ce spectacle jusqu’à ce que le soleil soit levé
e t qu’à la fraîcheur de la nu it soit près de succéder la chaleur
ardente du jo u r ; il est bon maintenant de reto u rn er au logis.
Nous quittons notre poste solitaire et nous descendons' vers la
plaine, où, longeant les fortifications, nous arrivons bientôt à la
porte de la ville, puis au marché.
Nous y trouvons la vie et le m ouvement; quelques-uns des magasins
remplis de riz, de farine, d’épices, de cafés, et parfois recé-
lant dans leurs p rofondeurs cachées des provisions de la plante
américaine prohibée, sont déjà ouverts ; nous échangeons en passant
avec les propriétaires des salutations amicales. On décharge
des chameaux dans les rues, et les conducteurs Bédouins se tiennent
près d’eux, visiblement mal à leur aise au milieu d e là ville.
Le cordonnier e t le forgeron, ces deux pivots de l’industrie arabe,
sont au travail, et quelques curieux les entourent en racontant les
nouvelles. Au coin de notre ru e ,tro is ou quatre paysannes ont
étalé devant elles des piles de melons, de courges, d’aubergines,
e t d’autres produits potagers. Mon compagnon entame un marché
avec une de ces nymphes de village; pour la valeur de deux
pence, il finit p a r obtenir une douzaine de « badindjam» et une
couple de melons d’eau plus gros chacun que la tête d’un homme.
Nous revenons avec cette emplette au logis, dont nous refermons
la porte extérieure, puis nous tirons d’un panier plat ce qui reste
de notre pain de la veille et nous faisons à la hâte un frugal déje
u n e r; je dis à la hâte, car bien que le soleil soit levé depuis
une demi-heure à peine, des coups répétés frappés au dehors
annoncent l’arrivée des clients. On a coutume ici de se lever et
de se coucher‘de bonne h eu re , les moyens d’éclairage étant rares
et dispendieux. Nous achevons cependant notre repas avant
d’ouvrir à nos amis, et ils ne s’offensent pas de ce reta rd ; le
temps a si peu de valeur pour eux, qu’ils re ste n t tranquillement
dans la ru e à causer entre eux. Notre unique boisson est l’eau
fraîche d’une gourde remplie le matin p a r Fatimah, fille de notre
propriétaire Hoseyn-el-Misri. Nous la détachons du coin ombreux
où nous l’avons accrochée, nous en versdns le contenu dans une
coupe de cuivre, e t nous savourons ce breuvage avec un plaisir
qui eût édifié les membres de la société de tempérance. Je ne
sais pourquoi nous n’avions pas pris à Hayel l’habitude de faire
nous-mêmes notre café ; nous devînmes plus habiles p ar la suite.
Enfin nous étendons les tapis, et je me retire dans la chambre
des consultations, ayantbiensoin d’étaler devant moi les balances
et les traités arabes, tandis que Barakat-esh-Shami s’apprête à
introduire les clients.
Le premier qui se présente est un jeune homme de bonne
mine enveloppé'du burnous noir que portent d’ordinaire les r iches
Arabes; il tient à la main un bâton de sidr ou lotus. Son
épée à poignée d’argent indique sa noble origine, tandis que les
longues boucles de ses cheveux noirs, ses tra its beaux e t expressifs,
son te in t légèrement olivâtre, sa haute taille, l’aisance de sa
démarche, annoncent u n h abitant d’Hayel. lis e nomme Odjeyl,
il est l’héritier d’une opulente famille et possède, dans un
quartier voisin de notre demeure, une maison confortable entourée
de vastes jardins. Il conduit p a r la main son frère cadet,
jeune homme à l’air doux et modeste, mais presque aveugle et
d’apparence chétive. Après avoir subi 1 inspection de Barakat,
il s’approche de ma re tra ite , et, se ten an t sur le seuil, me salue
avec la plus profonde déférence. Je le reçois gracieusement, ju geant
du premier coup d’oeil que des relations avec lui me seront
à la fois utiles et agréables. Il me parle alors de la maladie de
son frère, dont il décrit les différents symptômes avec une grande
exactitude, en même temps qu’il en voile les détails p a r une élégance
remarquable d’expressions, chose à laquelle u n Arabe de
la ville ne manque jamais. J’examine le malade, et je constate
que l’affection dont il souffre ne dépasse pas les bornes de ma
science. Je tra ite donc du prix de la guérison, p rê t à défendre
mes intérêts avec toute la chaleur convenable, m ais Odjeyl, qui
descendait du clan de Taï, renommé autrefois pour sa libéralité,
sa droiture et son honneur, n’a pas l’étroite parcimonie de ses
compatriotes qui discuteront des heures entières pour épargner
quelques sous,, sauf à prodiguer les pièces d’or envers le premier
solliciteur venu. Nous tombons promptement d accord e t j administre
aussitôt à mon malade les médicaments que son état
réclame; il les reçoit avec l ’air de religieuse confiance que to u t
Arabe bien élevé témoigne à son médecin, car il voit en lu i u n
être doué d’un pouvoir presque surnaturel ; sentiment, il faut le
reconnaître, fort avantageux au docteur et au malade lui-même,
dont il assure la tranquillité d’esprit.
Pendant le reste de mon séjour, Odjeyl devint l’u n de mes