
leçons des sheiks de Damas lui apprirent à réu n ir en système les
idées qui flottaient dans son esprit ; séparant les éléments essentiels
de l’islamisme des dogmes et des rites que le temps y avait
ajoutés, il revint à la pensée qui avait été le point de d ép a rt du
Prophète.
Pour apprécier, après onze siècles, le b u t véritable de Mahomet,
pour dégager le plan fondamental des altérations que lui
avaient fait subir ta n t de commentateurs divers, de races différentes,
il fallait un esprit supérieur, une science profonde des
hommes e t des choses, enfin une force de volonté indomptable.
Mohammed possédait tous ces dons à un haut degré.
Il faut dire à sa louange, si toutefois c’est une louange, qu’il
retrouva parmi les ruines la clef de voûte de l’édifice isla-
mite, et qu’il conçut le projet hardi de la remettre à sa place
primitive.
Cette clef de voûte, cette idée mère de laquelle découle le
système entier, est contenue dans la phrase si souvent répétée,
si rarement comprise : « La Ilah ilia Allah, » « Il n’y a d’au tre
Dieu que Dieu. » Ces paroles ont un sens beaucoup plus étendu
qu’on ne le croit généralement en Europe. Non-seulement elles
n ient d’une manière absolue toute pluralité de n atu re ou de
personnes dans l’Être suprême, non-seulement, elles établissent
l'u n ité de cëlui qui n’a pas été créé et que rien ne po u rra détru
ire ; mais dans la langue arabe e t pour les Arabes, ces mots
impliquent que Dieu est aussi le seul agent, la seule force, la
seule action qui existe, et que toutes les créatures, matière ou
esprit, instinct ou intelligence sont purement passives. L’unique
pouvoir, l’unique moteur, l’unique énergie capable d’agir, c’est
Dieu ; le reste, depuis l’archange ju sq u ’à l’atôme de poussière,
n ’est qü’un instrument inerte. Cette maxime : « La Ilah ilia
Allah » résume u n système que, faute de termes plus exacts,
j ’appellerai le panthéisme de la force, puisque l’aetion se concentre
dans un Dieu qui l’exerce seul e t l’absorbe tout entière,
qui d é tru it ou conserve, qui est, en un mot, l ’au teu r de tout bien,
comme de to u t m al relatifs. Je dis * relatifs : » en effet, dans une
théologie semblable, ni le bien ni le mal, ni la raison, ni l’extravagance
n ’existent d’une manière absolue; ils se modifient suivant
le bon plaisir de l’éternel Autocrate : « sic volo, sic jubeo,
stet pro ratione voluntas, » et selon l’expression plus énergique
encore du Coran : « Kema yeshao, (les choses sont ce q u ’il p la ît
à Dieu). »
Cet Être incommensurable, devant lequel les créatures sont confondues
sous un même niveau d ’inertie et de passivité, ce Dieu,
Être dans toute l’étendue de son action omnipotente e t omniprésente,
ne connaît d’autre règle, d’autre frein que sa seule
et absolue volonté. Il ne communique rien à ses créatures, car
l’action et l ’intelligence qu’elles semblent avoir, résident en lui
seul; il n’en reçoit rien, car elles existent en lu i, et agissent
par lui, quoi qu’elles puissent faire. Aucun être créé ne peut non
plus se prévaloir d’une distinction ou d’une prééminence su r
son semblable, c’e s t l’égalité de la servitude et de l’abaissement.
Tous les hommes sont les instruments de la force unique qui les
emploie à détruire ou à fonder, à servir la vérité ou l’e rreu r, à
répandre autour d’eux le bien-être ou la souffrance, non suivant
leur inclination particulière, mais simplement parce que
telle est sa volonté.
On devrait penser que ce terrible Autocrate, dont la puissance
s’élève au-dessus de to u t contrôle et de toute sympathie, est
du moins exempt de passion. Il n’en est rien. Jaloux de ses
créatures, Allah redoute qu’elles empiètent su r les privilèges
de son omnipotence ; il est plus prompt à punir qu’à récompenser,
inflige plus volontiers la douleur qu’il ne donne la joie, ruine
plutôt q u ’il n ’édifie. Il éprouve, en u n mot, une amère jouissance
à faire sentir aux hommes qu’ils sont ses esclaves, ses
instruments, e t des instruments méprisables ; à leu r faire comprendre
combien sa puissance est au-dessus de leu r puissance,
sa volonté au-dessus de leu r volonté, son orgueil enfin, au -
dessus de leu r orgueil.
Mais dans sa hau teu r inaccessible, n ’ayant ni fils, ni compagnon,
ni conseiller, il n ’est pas moins stérile pour lui-même que
pour tous les êtres, et sa propre stérilité, son égoïsme solitaire,
sont la cause et la règle de son aveugle despotisme. Telle est
l’idée que l’islamisme donne de Dieu, telle est la pensée p rimordiale
qui se rt de base au système entier.
Si monstrueuse, si impie que puisse p a ra ître cette doctrine,
elle ressort de chaque page du Coran ; ceux qui ont lu et médité
attentivement le texte arabe, — ca r les traductions altèrent
toutes plus ou moins le sens original, — n ’hésiteront pas à r e