
CHAPITRE II.
LE DJOWF.
Thus far into th e bowels of the land
Have we marched on without impediment.
(S h a k e s p e a r e .)
Vue du Djowf. — Rencontre de Ghafil et de Dafi. — Maison de Ghafil.
Le Khawah. Étiquette arabe. — Manière de faire le café. — Les
dattes*. — Description générale de Djowf.S- Maisons, châteaux forts,
bosquets de palmiers. — Climat. — Population, Histoire du pays ;
conquête wahabite. — Intervention d’Abdallah-ebn-Raschid dans les
affaires du Djowf. — Télal s’empare de cette province. — Caractère des
habitantsî|Hlndifférence religieuse des Arabes. — Sous plus d’un
rapport, ils ressemblent aux Anglais. — Commerce et civilisation.—
Notre demeure. — Emploi de notre temps. — Un souper dans le Djowf.
— Accusation portée contre nous. — Visite au château. — Hamoud.
Administration de la justice. Mosquées. — Députation azzamite. —
Départ pour Hayel. í - Notre nouveau guide. — Route du sud. —
Réflexions sur le passé et l’avenir de l’Arabie.
Une large vallée, couverte de palmiers touffus, de groupes
d’arb re s à fruit, e t dont les contours sinueux, descendant par
gradins successifs, vont se perdre dans l’ombre projetée p a r des
rocs rougeâtres ; au milieu de cette oasis une colline surmontée
de constructions irréguliè re s; plus loin, une haute to u r, semblable
à u n donjon féodal, et au-dessous de petites tourelles, des
maisons aux toits en forme de te rrasse, cachées modestement
dans le feuillage des ja rd in s; le tout inondé p a r u n flot de lu mière,
de la lumière resplendissante de l ’Orient, voilà sous quel
aspect le Djowf se présente au voyageur qui arrive par la route
du Nord. Cette scène admirable em pruntait un charme plus
grand encore au souvenir des arides solitudes qui avaient attristé
nos yeux depuis notre départ de Gaza ; elle me rappela les paroles
du poete arabe : « Ce lieu ressemble à l’éternel Paradis, nul
n’y p eut pénétrer sans avoir d’abord franchi le pont de l ’Enfer. »
Ranimés et joyeux, nous pressâmes nos montures e t nous descendions
déjà les premières pentes rocheuses de la vallée, quand
deux hommes, vêtus avec richesse et montés sur de superbes
chevaux, se présentèrent à nous. Ils nous saluèrent d’u n cordial
« Marhaba » (soyez les bienvenus), e t sans autre préambule :
« Mettez pied à te rre et mangez, »nous dirent-ils. Donnant eux-
mêmes l’exemple, ils sautèrent légèrement à bas de leurs montures
aux jambes fines e t nerveuses; puis ils placèrent devant
nous un grand sac de cuir rempli de dattes, une outre pleine
d’une excellente eau, et ajoutèrent : « Nous savions que vous deviez
avoir faim e t soif, aussi nous sommes-nous munis de p rovisions.
»
Nous mourions en effet de faim et de soif; les dattes, fraîchement
cueillies, étaient excellentes, car le Djowf jouit à cet égard
d’une réputation méritée; l’eau venait d’être puisée à une source
pure e t limpide, qualité précieuse pour des gens qui n ’avaient
rencontré depuis plusieurs jo u rs que les puits infects du désert.
Nos nouveaux amis n ’eurent donc pas la peine de renouveler une
seconde fois leur invitation; nous étions descendus sans délai de
nos chameaux p o u r jo u ir de l ’heure présente e t faire h o n n eu r
aux dons qui nous étaient offerts, laissant à la Providence le soin
du lendemain.
Tout en mangeant, j ’observais nos bienfaiteurs d ’u n oeil a ttentif.
Le plus âgé paraissait avoir environ q uarante ans ; il était
grand, bien fait, son regard intelligent et hautain annonçait l’habitude
du commandement, mais ses traits avaient une expression
peu propre à inspirer la confiance. Son costume, fo rt riche pour
un Arabe, se composait d ’une longue tunique blanche, d’une
veste de drap écarlate et d’un tu rb an de soie à raies rouges et
jaunes. Il p o rta it en outre une épée dont la poignée d’a rg en t
annonçait la haute naissance de son propriétaire. C’était Ghafil,
chef de la famille la plus considérable et la plus tu rb u len te du
Djowf, les Beyt-Haboub, qui gouvernaient autrefois le pays,
mais qui doivent aujourd’hui courber leur orgueil devant Hamoud,
lieutenant de Télal.
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