
Ces étrangers, au nombre de deux cents, s’étaient réunis à Riad
où ils s’étaient rendus, les uns de Meshid-Ali, les autres d’Abou-
Shar. Là, Feysul, après avoir reçu la taxe exorbitante que l’orthodoxie
wahabite impose aux shiites p o u r leu r permettre de
visiter la tombe du Prophè te, leur avait donné pour guide un
Nedjéen, nommé Abdel-Aziz-Abou-Boteyn, sectaire farouche qui
était bien résolu à leur faire subir mille vexations au nom de
Dieu et de la vraie foi.
J ’ai déjà parlé des efforts de Telal pour a ttire r dans ses États
les caravanes persanes; j ’ai dit combien il se montre libéral et
tolérant envers les pèlerins q u ’une heureuse inspiration pousse,
à prendre la route d’Hayel. Mais le Nedjed offre un chemin plus
direct, et par conséquent préférable ; c’est ce qui avait engagé
Mohammed-Ali à payer le tribut exigé par l’autorité wahabite.
Feysul, charmé du nouveau Pactole qui venait alimenter son
moulin, imposa silence à la haine nationale et à 1 antipathie r e ligieuse
que lui inspiraient les hérétiques Persans. En vérité,
pour une semblable « considération,»il aurait fourni sans hésiter
à Satan lui-même un p a s se -p o rt, un guide et des chameaux.
Afin de mettre sa conscience en re p o s , il voulut toutefois faire
acheter chèrement aux infidèles la permission qu’il leur octroyait.
Chaque pèlerin d u t payer quarante tomans d’or p o u r son
passage à Riad, et une somme égale pour obtenir un sauf-conduit
valable dans le reste de l ’empire. A cette condition, Feysul
leu r procura un guide qu’il eut soin de munir des plus larges
pouvoirs, et nous pouvons, sans m anquer à la charité, supposer
que cet homme suivit scrupuleusement l’exemple de son maître
en dépouillant de son mieux les hérétiques. Enfin les gouverneurs
des villes q u e tra v e rsa itla caravane, stimulés p a r un pieux
zèle, rançonnèrent à leu r tour les « ennemis de Dieu,» — nom
que les Wahabites donnent à to u t le genre humain,eux exceptés.
Tout compte fa it, les shiites eurent à verser chacun cent cinquante
tomans d’or (1500 fr.), taxe fort onéreuse pour un Persan,
et très-douce à percevoir pour un Arabe.
Ce n’est pas tout. Les ingénieux Nedjéens trouvèrent moyen
de tondre plus au vif encore leurs victimes. Abou-Boteyn, non
content d’exiger à l’avance les droits qu’il pouvait légalement
p ré le v e r, saisissait les moindres prétextes p o u r extorquer de
nouvelles sommes aux p è le rin s, surtout à l ’inconsolable Tadj-
Djehan, que sa richesse désignait plus particulièrement à la ra pacité
du guide. Voulant inspirer aux malheureux voyageurs
une crainte-salutaire, il eut recours aux menaces et aux violences;
par son ordre, le fonctionnaire persan, Mohammed-Ali,
fut bâtonné dans sa propre te n te , p u is , quand il eu t ainsi brisé
les résistances, Abou-Boteyn remplit ses sacs de tomans et chargea
ses chameaux du butin. Cependant, à son re to u r de Médine,
il pensa que ses protégés pourraient bien déposer entre les m ains
du gouverneur de Bereydah une plainte contre lui. Mohammed,
troisième fils de Feysul, se trouvait alors dans cette ville ; peut-
être condamnerait-il le guide à restitu er ses biens mal acquis,
non pas aux légitimes propriétaires, cela n ’entre pas dans les
principes w ah ab ite s, mais au trésor de Riad!. L’affaire menaçait
de devenir fâcheuse ; le sultan verrait sans doute dans ce détournement
un préjudice pour les intérêts communs des fidèles. Il est
vrai que des présents, adroitement offerts au gouverneur, à Mohammed
et à Feysul auraient to u t réparé. Abou-Boteyn ne su t pas
se résoudre à ce sacrifice ; suivant les conseils imprudents d’une
avarice so rd id e, il résolut de se soustraire au châtiment par la
fuite. Quand les pèlerins arrivèrent à Eyoun , le guide disparut
et se réfugia dans la ville d ’Oneyzah, laissant la caravane se tire r
d’affaire comme elle pourrait.
Moyennant finance, les bons Eyounites conduisirent les voyageurs
à Bereydah. Mais un malheur n ’arrive- jamais s e u l, les
infortunés Persans en firent l’expérience-. Ils se trouvaient
maintenant entre les griffes d’un oiseau de proie de la pire espèce,
le gouverneur nedjéen Mohanna-el-Anezi, celui-là même
qu’Abdallah, fils de Feysul, avait choisi p o u r admininistrer le
Kasim après le massacre des Aleyan.
Mohanna avait répondu à l’attente de son maître et marché
sur ses traces. Méchant e t rusé, il mit en oeuvre tous les moyens
imaginables pour détruire chez lesKasimites l’esprit d’indépendance
et de nationalité, avilir leur caractère, épuiser leurs re s sources.
Les lois wahabites qui proscrivent la soie, le tabac, les
ornements, furent exécutées ayec une extrême rig u e u r, au
grand détriment du commerce et de l’industrie. Les principaux
marchands du Kasim, p a r suite d’un système que nous verrons
appliqué sur une plus grande échelle dans la province d’f îa s a ,