
plit de visiteurs qui arrivaient, les uns du château, les autres
de la ville. Celui-ci avait un parent malade qu’il nous priait de
venir voir ; celui-là souffrait d’une affection chronique ; un troisième
obéissait simplement à la curiosité ; enfin des hommes de
tout âge et de toute condition, mais remplis pour la plupart de
bienveillance et de franchise, se présentaient dans notre demeure,
et nous pouvions espérer acquérir promptement une,
connaissance parfaite du pays. Afin de ménager notre temps et
de ne pas compromettre notre popularité, nous nous étions tracé
un système de conduite auquel nous fûmes strictement fidèles,
tant que dura notre séjour en Arabie. Il conciliait à merveille
notre but réel et nos intérêts apparents; aussi je crois devoir
en dire quelques mots, pour le plus grand avantage des charlatans
ou des voyageurs.
D’abord, nous refusions absolument de soigner les petits enfants
ou les femmes. Eu égard aux étroites limites de notre
science médicale, cette mesure était nécessaire pour éviter un .
fâcheux échec, et de plus, elle avait l’avantage de nous assurer
quelques moments de loisir.
Secondement, nos occupations journalières étaient réglées
d’après un plan fixe, sur lequel nous donnerons plus tard quelques
détails. , .
Troisièmement, il fut convenu que nous ne rejetterions a
p remière vue aucun client, que nous ferions accueil à tous, nous
efforçant de lie r conversation avec nos visiteurs, afin d’etudier
adroitement leurs caractères. Cependant nous ne devions pas
entreprendre de traitem en t régulier sans nous être informes de
la position sociale, des habitudes et du genre de vie de nos ma-
^Im p ru d en c e seule aurait conseillé ces précautions, mais nous
avions pour les prendre des raisons particulières. Les Arabes
ont coutume de ne payer le médecin qu’en cas de guérison ;
' ils commencent p a r lui remettre un billet dans lequel il est stipulé
formellement que le docteur n’a rien à exiger si le malade
ne se ré ta b lit p a s ; e t même, quand il revient a la santé, les
honoraires varient suivant la gravité de l’affection.
Je doute que ce système soit goûté par la Faculté de Londres
ou de Paris; les clients y gagnent parfois, mais un tel usage
oblige on le comprend, le médecin à une grande reserve pour
ne pas perdre à la fois, et sa réputation et le fruit de ses soins.
Il faut s’assurer de la solvabilité du malade appeler des
témoins, définir exactement ce que l’on entend par guérison,
car les Arabes sont ingénieux à trouver des échappatoires.
Toutefois, pour ne pas laisser le public mettre en doute la
puissance de l’art, il est nécessaire de recourir, suivant les circonstances,
à divers expédients. Par exemple, si le docteur juge
la mort imminente, il déclarera d’un ton sentencieux que les
décrets divins doivent s’accomplir, et que, du ciel seul, on peut
attendre le soulagement. Plus d’une fois, quand les signes d’une
dissolution prochaine frappaient mes regards, habitués à les reconnaître
par une triste expérience, j ’ai acquis une merveilleuse
renommée de talent et de savoir en annonçant quelques jours à
l’avance le fatal dénoûment. « Dans le pays des aveugles, les
borgnes sont rois. »
Lorsque l’état du malade était fort dangereux, mais non désespéré,
je me tirais d’affaire en exigeant pour la cure un prix
exorbitant, auquel je savais bien que nul Arabe ne voudrait
consentir, et je renvoyais mon client avec de belles paroles.
Je rencontrais cependant parfois des hommes raisonnables et
intelligents, auxquels il était possible de faire comprendre que
la science humaine est nécessairement limitée, qu’il faut la
seconder par des efforts assidus, un régime suivi, si l’on veut obtenir
une amélioration durable ; ils acceptaient mon assistance
dans les termes où elle leur était offerte, consentaient à payer
une somme déterminée, quel que fût le résultat de mes conseils,
et tenaient scrupuleusement leur parole. Mais, c’étaient là des
exceptions bien rares.
D’après ce que j ’ai dit du caractère arabe, le lecteur ne s’étonnera
pas de nous voir exiger avec tant d’âpreté le prix de
nos services. Donner gratuitement des médicaments serait, dans
la Péninsule, une folie véritable ; un Européen se trahirait par
là et se ferait peut-être prendre, pour un espion. La prudence
commande au contraire à l’étranger de paraître plus impatient
qu’un attorney de toucher ses honoraires, et de laisser croire
que c’est le principal ou même le seul objet de son voyage.
Cependant, quelque habileté que possède le docteur réel ou
prétendu, il trouvera dans les Arabes de l’intérieur d’étranges
malades, fort difficiles à traiter. Bien qu’ils soient civilisés, à