
le jo u r même. A l’heure appelée p a r les arabes Asr, c’est-à-dire
vers le milieu de l’après-midi, nous prîmes congé des bons
Djowfites et nous sortîmes de la ville, accompagnés de Dafi, d’O-
keyl, fils aîné de Ghafil et de quelques autres de nos amis qui,
selon la coutume orientale, nous conduisirent jusqu’à une certaine
distance, sincèrement attristés de notre départ et faisant
des voeux pour n otre prompt re to u r. « Insha Allah » (si Dieu le
veut), répondîmes-nous. Qu’avions-nous de mieux à dire?
Quand nous eûmes dépassé les maisons et les jardins, Djedey
nous fit prendre un e route qui longeait le bord méridional de la
vallée e t aboutissait à l’extrémité orientale de Djowf. C’était l’endroit
désigné par nos compagnons pour le rendez-vous général,
mais aucun d’eux ne s’y trouvait, et cela, p a r une excellente
raison : ils étaient invités ce jo u r-là encore, à souper chez Ha-
moud, et des Bédouins ne se résignent pas facilement à perdre
l’occasion de faire u n bon repas. Après les avoir inutilement
attendus, nous prîmes le p a rti d’accepter l’invitation du chef de
ce qu a rtie r de la ville; nous dînâmes chez lui, e t nous re to u rnâmes
à notre campement. Passer une nuit à la belle étoile n’a
rien de pénible sous le ciel d’Arabie, nul ne se croit un héros
pour avoir dormi su r une molle couche de sable.
Le lendemain matin, avant que l’aube eût fait pâlir la clarté
de Vénus, trois de nos Sh érarat arrivèrent, annonçant q u ’ils
étaient suivis de près p ar le reste de la caravane. Encouragés p a r
cette nouvelle, nous prîmes le parti de nous mettre en route
sans attendre davantage, et le soleil n’avait pas encore p a ru , que
déjà nous gravissions la pente escarpée qui, au sud, ferme le
Djowf. Parvenus au sommet, nous jetâmes u n dernier rega rd su r
la vallée; la lumière naissante du matin dorait son château et
ses tourelles, ses bosquets et ses ja rd in s ; au loin s’étendait le
sombre désert septentrional, pareil à une mer immense. Nous
descendîmes lentement le revers de la colline : reverrions-nous
jamais ee ria n t oasis?
La ro u te que nous devions suivre trav e rsa it une large plaine
couverte de monticules de sable et parsemée de ghadas touffus,
aussi nos chameaux paraissaient-ils beaucoup plus disposés à
savoure r tran q u illem en t le u r pâture de prédilection qu’à faire
le u r besogne de b êtes de somme. Vers midi nous fîmes halte sous
u n buisson épais, et fort h au t, formé par ces arbuste s; nous
construisîmes, avec des branches arrachées aux arbrisseaux
environnants, une sorte de cabine qui nous ab ritait des rayons
du soleil, et où nous pouvions attendre en repos nos compagnons.
C’étaient des Bédouins sauvages, comme le sont au reste la
plupart des Shérarat. Fort éblouis de la grandeur d’Hamoud, ils
se troublaient à la seule pensée de p ara ître bientôt devant la
terrible majesté de Télal; un si grand prince était à leu rs
yeux la personnification même de la Divinité. « Quel est
votre Dieu? » demandait u n voyageur arabe de ma connaissance
à un nomade des environs de Bassora. « C’éta it Fadi
répondit cet homme, nommant un puissant gouverneur voisin
mais il est mort, et je ne sais pas maintenant qui est Dieu à sa*
place. »
Nos Shérarat étaient tous armés, e t avaient revêtu leurs plus
beaux costumes d apparat. Mais hélas, malgré le u rs soins, ils
ressemblaient plus a ces épouvantails qui effraient les oiseaux
ou bien encore à des mendiants irlandais, qu’à des chefs qui vont
paraître devant leur souverain. Des burnous rouges en lam beaux,
des tuniques dont l’étoffe primitive avait depuis longtemps
disparu sous des pièces bigarrées de mille couleurs ; d’autres,
qui dissimulaient mal des trous énormes, semblables à
des bouches ouvertes pour implorer l ’aiguille de là m én ag è re ;
des pipes à demi brisées; une absence totale de pantalons, c a r ’
je dois l ’avouer, tous les vrais Arabes sont des sans-culottes; ’enfin
des visages amaigris p a r la faim, noircis p a r la boue, tel était
l’extérieur des nobles Azzam. Deux Bédouins de la trib u
de S h om e r, trois habitants de Djowf, qui semblaient être
des gentlemen au milieu dç cette troupe déguenillée composaient
avec nous le reste de la caravane, e t le le cteur doit
charitablement supposer que nous en étions la p a rtie la plus
élégante.
Le matin suivant, un peu après le lever du soleil, nous a tte ignîmes
une vallée ca lc aire, entourée de basses collines de ma rne
et de sable. Là se trouve le fameux Bir Shekik, ou puits de She-
k ik ; nous nous y arrêtâmes pour emplir nos o u tres, opération
qui fut accomplie avec grand soin, car nous avions à m a rch er
quatre jo u rs au milieu des sables brûlants, sans ren co n tre r
aucune au tre source.Ce puits est profond de q u a t r e - v i n g t s pieds