
avions consigné entre les mains d’un digne magistrat de Maan,
nommé Ibrahim.
Quiconque désire voyager dans le désert avec une certaine
sécurité, doit avoir la prudence de rendre les Arabes qui l’accompagnent
solidaires de ceux qu’il laisse derrière lui. Ainsi notre
nouveau guide devait recevoir son salaire, seulement lorsqu’il
délivrerait à Salim la lettre qui permettrait à celui-ci d’entre r
en possession du sien. Il est encore très-utile de pouvoir dire
que l’on est chargé de missives importantes, adressées à tel ou
te l gouverneur, et de montrer une liasse de plis cachetés avec
soin ; peu importe du reste le contenu, puisqu’il n’y a pas un
Bédouin su r cinquante mille qui soit en é tat d’en déchiffrer une
syllabe. Nous ne manquions pas, à chaque étape, de nous munir
de recommandations souvent fictives, mais qui avaient toujours
l’heureux effet d’imposer aux Arabes un respect salutaire. Ce
fu ren t, après la Providence, ces précautions qui nous sauvèrent
des périls auxquels nous étions exposés dans un pays où il est difficile
d’entre r, et dont il est plus difficile encore de sortir. En au cun
cas, il ne faut payer d’avance aux Bédouins leurs services ;
en agissant ainsi, bien loin d’assurer leur fidélité, on éveillerait
leu r convoitise, car ils ne manqueraient pas de supposer que l ’on
possède de grandes richesses. Par la même raison, le voyageur
doit mo n tre r une âpre parcimonie quand il conclut un ma rché
avec eux, non dans le but misérable d’épargner quelques
piastres, mais afin de les convaincre que sa bourse est pauvremen
t garnie. Il vaut beaucoup mieux avoir recours à leu r libéralité
que de p ara ître trop généreux ; car ils ont in té rê t à protéger
la personne d’un débiteur, tandis que le titre de créancier
peut devenir dangereux au milieu d’hommes peu susceptibles
de gratitude, et fort enclins au contraire à la trahison e t à la
rapacité. Ils regardent l’homme civilisé comme leu r proie, e t ils
le tra ite ro n t en conséquence s’ils croient que la victime en vaille
la peine. Laisser voir du dédain pour l ’argent, c’est tra h ir une
origine européenne, grave imprudence quand on voyage en
Arabie, où l’avarice est u n excellent passe port, et forme en
quelque sorte u n signe de ralliement auquel se reconnaissent
tous les Orientaux. Ceci soit dit en passant, pour le plus grand
profit des explorateurs futurs de la Péninsule.
Après bien des recherches, Salim trouva enfin un honnête et
timide garçon, nommé Suleyman, qui consentit à nous servir de
guide. Pendant ce temps, le chef des Azzam nous en to u ra it des
soins d’une hospitalité attentive et empressée, m ettant largement
à notre disposition la chair e t le lait de ses chameaux, ses dattes
les plus fraîches, son meilleur samh. 11 voulait p a r là nous engager
à faire au gouverneur de la province un rapport favorable
de sa conduite. Les deux jo u rs que nous passâmes dans le campement
furent donc pour nous un repos agréable, en dépit d’une
chaleur excessive, qui au ra it arraché des plaintes à un habitant
de Bengale ou de Madras lui-même.
Le 29 juin, nous nous remîmes en route de bonne heure, en
compagnie de Suleyman et de plusieurs au tre s Sherarat, que des
affaires appelaient auprès d’Hamoud, vice-roi du Djowf. Devant
nous s’étendait un immense plateau stérile, qui se prolonge au
nord à travers le Djebal-el-Djowf, ju sq u ’aux montagnes du
grand désert syrien. Une bande d’autruches s’éba tta ient dans la
plaine;'en nous apercevant, elles s’enfuirent de toute le u r vitesse,
courant l’une après l’au tre de manière à former un e longue
file, comme des chameaux épouvantés. Aucun oiseau n 'e st
plus craintif, ni plus difficile à saisir. Les Sherarat le u r font
cependant une guerre incessante, car leur plumage est trè s -re cherché
su r les frontières d’Egypte, e t de Syrie, d’où il passe
souvent en Europe.
Ces steppes désolés sont complètement dépourvus d’eau ; après
avoir marché pendant tout un jour interminable d’été, nous
nous arrêtâmes une heure, au coucher du soleil, pour cuire
sous la cendre la grossière galette qui composait notre souper;
puis remontant sur nos chameaux, nous franchîmes le
contre-fort sud-oriental du Djebal-el-Djowf, et enfin, après
minuit, une courte halte nous permit de goûter un peu de
repos.
Mon sommeil fut troublé par la piqûre d’un scorpion,
piqûre insignifiante, à vrai dire, mais que la violence du
venin rendit cependant fort douloureuse. Ces scorpions du
désert sont de curieux insectes ; ils semblent uniquement composés
de dards et de pinces, et leur petit corps rougeâtre, toujours
en mouvement, n’excède pas un quart de pouce de longueur.
Ils fourmillent dans le sol sablonneux; cachés pendant
le jour, ils sortent à l’heure du crépuscule pour jouir de l’air