
d’un écrivain lorsqu’il traite de la réforme d’Abdel-Wahab, l’appelle
le Protestantisme mahométan et la compare au mouvement
religieux qui, au seizième siècle, bouleversa l’Europe. En réalité
les différences qui séparent la secte wahabite de la grande famille
mahométane n’ont aucune analogie avec celles qui ont
amené la séparation des luthériens et des calvinistes ; les cas
étaient to u t à fait différents et quelques mots d’explication suffiro
n t pour le prouver.
Le réformateur nedjéen avait formé le projet de faire revenir
l’islamisme à son point de départ, et il avait raison, puisque l’islamisme
est stationnaire de sa n a tu re . Stérile comme son Dieu,
glacé, dépourvu de vie comme son premier principe, — car la
v ie , c est 1 am o u r, c’est le p ro g rè s, choses complètement
étrangères à la divinité du Coran, — il repousse toute modification
, tout développement. C’est une lettre morte, et s’il s’en
échappait quelque étincelle, les musulmans ne manqueraient
pas de crier à l ’hérésie.
Le Dieu des chrétiens au contraire est un Dieu vivant; il a
créé le monde p ar amour, il le gouverne p a r am o u r; il appelle
les hommes, non ses esclaves, mais ses serviteurs, mais ses
amis, ses enfants; esprit et lumière, il n’a pas dédaigné de
prendre un corps semblable au nôtre; le Créateur et la créature
se sont confondus dans une mystérieuse union et la foi révélée
à la te rre par le Christ pourra it se résumer par ces mots : « Un
Dieu qui s’est fait homme pour transformer l’homme en Dieu. »
Une telle doctrine est nécessairement une doctrine de perfectionnement
et de progrès. Il y a, entre elle e t l’islamisme, toute
la différence qui sépare le mouvement de l’immobilité, l’amour
de l’égoïsme, la vie de la pétrification. Le principe du christianisme,
l’esprit qui l ’anime, restent toujours les mêmes, mais la
forme extérieure doit varier; car, si la vérité est une de sa
n a tu re , elle se développe selon les temps e t les lieux; de nouveaux
rejetons a ttesten t la vigueur de la séve ; s’il en était
autrement, la vigne céleste se ra it frappée de mort et ses branches
se dessécheraient. Je n’ai pas l’intention d’en tre r dans
une controverse religieuse qui serait ici peu à sa place, je dis
seulement que la vie suppose le mouvement et la croissance,
que vouloir enfermer dans une le ttre morte une religion vivante,
c’est la coucher sur u n lit de Procuste, c’est la tu e r. Le
christianisme est vivant, par cela même il doit progresser et
grandir,, ainsi l’a voulu son fondateur. Le mahométisme, au
contraire, est dépourvu de vie; il ne peut pas progresser, il ne
peut pas g ran d ir; pour le maintenir d eb o u t, il faut le laisser
dans une immobilité absolue; aussi Abdel-Wahab montrait-il
une intelligence profonde des véritables intérêts de sa re lig io n ,
en essayant de la ramener à sa simplicité primitive.
Le coeur rempli de son dessein, et fermement résolu à l’accomplir,
Mohammed le Wahabite revint dans sa p a trie , après
avoir passé six années entières à Damas. L’Arabie centrale était
alors divisée en un grand nombre de petits États qui obéissaient
à des chefs particuliers. Le plus puissant de ces princes, Ebn-
Maammer, régnait sur Eyanah, capitale de la Wadi-Hanifah ;
mais comme tous ses rivaux, il reconnaissait la suzeraineté
d’Ebn-Muflik, successeur des rois carmathiens dans les p ro vinces
de l’Hasa e t du Katif. Depuis longtemps, l’islamisme
n’était plus pour les Nedjéens qu’un souvenir confus, qui s’affaiblissait
chaque jo u r. Le culte de Djann, que l’on adorait à
l’ombre des grands arbres ou dans les cavernes profondes du
Djebel-Toweyk, les honneurs rendus aux morts, les sacrifices
accomplis su r les tombeaux, se mêlaient aux superstitions sa-
béennes; nul ne lisait le Coran, ne s’informait à quel point de
l’horizon est située La Mecque ; les cinq prières étaient mises
en o u b li, les dîmes, les ablutions, les pèlerinages tombés en
désuétude. Tel était l’état politique et religieux du pays, quand
arriva le réformateur qui avait résolu de faire revivre au Nedjed
les beaux jo u rs de l’islamisme. L’événement justifia ses espérances.
« Pour pêcher un poisson, il faut le prendre p ar la tê te, »
dit un proverbe arabe. Mohammed quitta Horeymelah, sa ville
natale, et vint s’établir à Eyanah, sous la protection d’Ebn-
Maammer. Les Nedjéens racontent, su r la grandeur de l’antique
capitale de la Wadi-Hanifah, sur la tyrannie de ses chefs, les
choses les plus m erveilleuses et les plus incroyables. Ainsi, Ebn-
Maammer, p rêt à p a rtir pour une expédition lointaine, au ra it,
d it-o n , réuni les forces militaires de la ville et donné l ’ordre à
chacun des forgerons enrôlés dans ses troupes de je te r un boulet
devant la porte d’Eyanah tandis que l’armée défilerait. On re cueillit
de la sorte six cents de ces projectiles, nombre corres