
devenues familières ; plusieurs de ses provinces maritimes ont
été explorées d’une manière à peu près suffisante ; l’Yemen et
1 Hedjaz, La Mecque et Médine n’ont plus de mystères pour nous;
quelques voyageurs ont. aussi visité l’Hadramaut et l’Oman.
Mais su r l ’intérieur de cette vaste région, su r ses plaines e t ses
montagnes, ses tribus et ses villes, su r son gouvernement et ses
institutions, les moeurs e t les coutumes de ses h ab itan ts, leur
condition sociale, le u r degré de civilisation ou de b arba rie , que
savons-nous avec certitude? Nous n’avons pour nous éclairer
que des récits vagues, tro n q u é s, évidemment infidèles. Il est
temps de remplir cette lacune su r la carte d’Asie ; quel que soit
le p é r i l , nous ne faillirons pas à notre tâche. La te rre dans laquelle
nous allons e n tre r sera notre tom b e au , ou bien nous la
traverserons dans sa plus grande la rg eu r et nous saurons ce
q u ’elle renferme d’un rivage à l’au tre . Vestigia nulla retrorsum. »
Telles étaient mes pensées, e t je suppose, celles de mon compagnon
quand, le 16 juin 186â, à la tombée de la nuit, nous a ttendions
près delà porte orientale d e là ville de Maan, les A rabes
nos guides, qui remplissaient les outres à une source voisine,
me tta ien t les selles et disposaient les bagages su r le dos des
chameaux. Les étoiles commençaient à paraître au milieu du
sombre azur d’un ciel sans n u ag e s, et le croissant de la lune,
resplendissant de cet éclat particulier à l’Orient, promettait de
rendre plus facile notre marche nocturne. Nous fûmes bientôt
installés sur nos bêtes à long co u , dans une posture à peu près
p a re ille , comme le dit un poète a ra b e , « à celle d’un homme
perché en h au t d’un mât. » Nous nous dirigions vers l’est, la issant
derrière nous, dans les ombres du crépuscule, les remparts
et le château-fort de Maan, ses maisons, ses ja rd in s, et p lus loin
encore à l’horizon, la chaîne haute et nue des montagnes Sheraa
qui va jo in d re celle de l’Hedjaz. Devant n ous, au to u r de nous,
s’étendait une vaste plaine monotone, semée d’innombrables
cailloux noirs de basalte et de s ilex , au milieu desquels tranchaient
çà e t là, éclairés par les rayons de la lune, de petits espaces
de sable blanc ou de gazon ja u n â tre , maigre produit des
pluies d’h iv e r , que l’a rd eu r du soleil ne tarde pas à dessécher.
P a rto u t régnait un profond silence; les Arabes eux-mêmes
semblaient craindre de le rom p re , ils s’adressaient à voix basse
de ra re s e t courtes obse rvations, pendant que nos chameaux
s’avançaient d’un pas furtif au milieu de la solitude, dont ils ne
troublaient pas le calme imposant.
Le voyage que nous entreprenions exigeait, à la vérité, quelques
mesures de p rudenc e, car il présentait des périls sérieux.
Nous nous rendions au Djowf, le plus proche des districts h a bités
de l’Arabie Centrale, sa frontière, pour ainsi d ire ; e t la
route que nous devions suivre offrait, à cette époque de l ’année,
en raison des bandes de voleurs et des chaleurs brûlantes, un
double danger, celui d’être pillé e t de mourir de soif. La distance
à parcourir était d’environ deux cents milles à vol d’oi-
s e a u , mais il fallait compter sur un tra je t beaucoup plus long ;■
car les puits, ces points de reconnaissance au milieu du désert,
d’après lesquels le voyageur est forcé de régle r sa marche, ne
sont jamais disposés en ligne directe; e t d’ailleurs, la nécessité
d’éviter les trib u s hostiles ou suspectes devait nous obliger à
de nombreux détours.
La société dans laquelle nous nous trouvions n ’était pas elle-
même de nature à nous inspirer une grande sécurité. Je pouvais,
à la v é rité , avoir une confiance entière en mon compagnon,
jeune Syrien du village de Zahleh. E ntrep ren an t, actif, audacieux,
il avait fortifié ces qualités natives dans un pays dont les
habitants accoutumés à brave r le p é r il, ont u n mépris extrême
pour les populations environnantes, et se sentent ainsi moins
accessibles à la crainte quand ils se trouvent « u r une te rre
étrangère. Mais les Bédouins qui nous servaient d’escorte
. formaient un bizarre assemblage. Leur chef, Salim-el-Atneh,
appartenait à la trib u des Howeytat, race énergique et nombreuse
qui habite sur les rives de la mer Morte, un district montagneux
situé entre Kerak et Maan. Notre guide était membre
d’une famille puissante, alliée aux chefs du clan, mais ses actes
nombreux de vol et de pillage, compliqués parfois de meurtre,
lui avaient acquis une si fâcheuse célébrité, que sa position
ressemblait beaucoup à celle d’un bandit placé hors la loi. P etit
et grêle, il avait le visage fortement b a s a n é , des lèvres minces
qui annonçaient la résolution et l’audace, tan d is que 1 expression
calme de ses yeux d’un gris sombre trah issait un caractère
impassible, réfléchi qui, au besoin, ne re cu le ra it pas devant la
trahison.
Je ferai rema rque r ici que les tableaux flatteurs dans lesquels