
spirituelles, mais qui sont seulement grossières à l’excès. Les
enfants courent et se culbutent, sans s’inquiéter le moins du
monde s’ils importunent leurs parents, pour lesquels ils n’ont
ni soumission ni respect.
En agissant jiinsi, les nomades n’ont d’ailleurs aucune mauvaise
intention ; ils désirent au contraire se rendre agréables à
leurs hôtes ; ils voudraient les mettre à l’aise, les bien accueillir,
mais ils ne savent comment s’y prendre. S’ils violent toutes
les lois de la politesse, c’est p ar pure ignorance, non p a r malice;
leu r absence complète de culture intellectuelle ne les empêche
pas de montrer parfois une rare pénétration et un tact inné.
On distingue en eux, malgré les défauts propres à des gens
dépourvus de to u t frein et de tout principe, quelques traces d’un
noble et généreux caractère, qu’on chercherait vainement chez
les Persans ou chez les Turcs. Leurs vices tiennent à leur condition,
leurs qualités leur appartiennent.
Qu’attendre de mieux en effet d’hommes qui passent leur vie
à conduire des chameaux, qui ne connaissent ni religion ni loi,
qui sont en un mot totalement dénués d’instruction et de bons
exemples? Chaque jo u r leur apporte de nouvelles privations et
de nouveaux dangers ; c’est l’éducation d’un sauvage ; une telle
école ne saurait former d’autres disciples. Je voudrais que ceux
dont l’imagination se trace une image idéale de la vie du désert,
qui regardent le sort du Bédouin comme digne d’admiration et
d’envie, pussent demeurer seulement trois jo u rs au milieu d’un
campement sherarat, et voir, non plus à travers le prisme de
récits romanesques, mais avec leurs propres yeux, à quelle dégradation
une semblable existence fait descendre l’une des plus
nobles races de la te rre .
J ’ai dit : une des plus nobles races de la te rre , les Arabes
des villes méritent en effet cet éloge. J ’ai beaucoup voyagé, j ’ai
eu des relations fréquentes avec des peuples bien divers, africains,
asiatiques, européens, et très-peu me semblent dignes
d’être placés au-dessus des habitants de l’Arabie centrale. Ces
derniers pourtant parlent la même langue que les nomades du
désert, le même sang coule dans leurs veines, mais quelle distance
les sépare ! La différence est à peine moins sensible entre
un Highlander barba re et un gentleman anglais, tels que
nous les représente Walter Scott dans Waverley ou dans RobRoy.
Sans préliminaire aucun, les Bédouins nous adressent les
questions suivantes : « Qui êtes-vous? que venez-vous faire? —
Nous sommes des médecins de Damas, e t nous nous proposons
de soigner ceux que Dieu mettra sur notre chemin. » — « Qu’y
a-t-il là dedans? ajoutent-ils en sondant curieusement nos b a gages
du bout de leurs bâtons. N’avez-vous pas quelque petite
chose à nous vendre? » .
Bien que son langage soit familier, son état social fort misérable,
il est à remarquer que ce peuple a généralement conservé
l’idiome arabe dans sa pureté primitive, et qu’il se soumet
aux règles minutieuses, aux exigences sans nombre de ce qui est
assez improprement appelé « la langue grammaticale » Mais
nous traiterons plus, amplement ces sujets quand nous serons
arrivés dans le Djebel-Shomer, où le dialecte populaire revêt
sa forme la plus correcte et la plus séduisante. Laissons donc,
pour le moment, la philologie et retournons à nos Bédouins que
nous avons laissés près de nos bagages, dans u n état de grande
animation.
Nous refusons de rien leur vendre. Étaler nos marchandises
en plein air, sur le sable, au milieu de cette foule peu scrupuleuse,
serait une véritable folie. Jugeant enfin que su r ce chapitre
, toute insistance est inutile, les Arabes cessent de nous
importuner, mais ils nous amènent des malades que les Facultés
réunies de Paris et de Londres seraient impuissantes à guérir,
des aveugles, des paralytiques p ar exemple, et ils s’imaginent
qu’une seule potion suffira pour rendre immédiatement à ces
malheureux la vue et l’usage de leurs membres. Mais l’on
m’avait averti que soigner un Bédouin avec quelque chance de
succès, même dans les circonstances les plus favorables, est
chose à peu près impossible. Je décline poliment l’invitation
de mes hôtes.Les sollicitations deviennent alors plus pressantes,
et je suis contraint de les détourner par une plaisanterie.
« Ainsi, vous vous jouez de nous, habitants des villes, parce
que nous sommes de pauvres Bédouins, et que nous ignorons
vos usages, » dit l’Arabe irrité , en voyant les enfants rire de sa
déconvenue.
« Mon jeune ami, (cette application familière s’adresse à tout
homme au-dessous de quatre-vingts ans), ne voudriez-vous pas
remplir ma pipe ? » reprend un autre qui cependant est pourvu