
ce que nous attendions de sa bienveillance. Il s’ensuivit une
conversation qui d u ra au moins une heure. Les remarques du
roi étaient concises, judicieuses, allaient toujours au fond des
choses. Souvent sa propre intelligence saisissait ma pensée avant
que je l'eusse complètement exprimée ; il m’arrê ta it alors par
quelque mot d’assentiment, ou bien il exposait ses doutes, suggérait
des modifications. Il évitait avec soin de se compromettre
par des promesses positives ; de notre côté nous nous abstenions
scrupuleusement de sollicitations indiscrètes qui l’aura ient fait
so rtir de sa réserve. Télal appuya sur la nécessité d’un secret
absolu : « Si ce que nous discutons venait à être c o n n u , dit-il,
ni votre vie, ni peut-être la mienne ne seraient en sûreté. »
Pendant cet entretien je saisis l’occasion de lui parle r de
bruits sinistres qui circulaient dans la ville au sujet de notre
voyage. «Vraiment!» répliqua le prince avec dédain ; puis croisant
les bras su r sa poitrine e t redressant fièrement la tête :
« La v ille , c’est moi ! s’écria le nouveau Louis XIV ; ne craignez
donc rien ’, nul de mes sujets n ’osera vous n u ir e , mais il y en a
d’au tre s dont je ne saurais répondre. »
Quand toutes choses eurent été suffisamment convenues, l é -
lal nous dit que nous pourrions tra ite r plus amplement ce sujet
avec Zamil. Il nous promit une seconde audience dans laquelle
il nous donnerait une réponse positive, car, ajouta-t-il, « nous
devons réfléchir et ne rien faire à la hâte. » Appelant ensuite un
esclave qui se tenait près de h porte, le sabre au poing, il lui dit
quelques mots à demi-voix ; le nègre disparut un moment, et re vint
avec du café to u t préparé ; bientôt après, deux autres serviteurs
apportèrent un p la t chargé d'excellentes pêches que le roi
s’empressa de goûter avec nous en signe de confiance e t de bon
vouloir. La collation achevée, Zamil qui, éta it plein d’enthousiasme
pour nos projets, se leva d’un air de vive satisfaction, et
nous reconduisit à sa demeure. Les jours suivants, nous eûmes
avec lu i de longs entretiens, mais Télal ajournait toujours sa décision,
e t il ne nous semblait pas convenable de le fatiguer de
nos instances.
Pendant ce temps, « les autres, » c’est-à-dire les ennemis auxquels
notre royal protecteur avait fait allusion, ne demeuraient
pas oisifs. Depuis longtemps déjà nous étions instruits de leurs
menées ; plus d’u n Nedjéen, revêtu du costume sévère de me -
towa, ou de membre de la secte wahabite, s’était avec son maintien
austère et son visage hypocrite, présenté chez nous, sous
prétexte de demander une consultation. C’étaient des émissaires
venus de Riad pour épier ce qui se passait à Hayel; on les ren contrait
souvent dans les rues e t sur la place du marché, observant
toutes choses, évités par chacun, et pourtant tra ité s avec
un respect mêlé de crainte. Étrangers et chétiens, nous devions
nous attendre à éveiller leu r attention ; nous fûmes même l’obje
t d’une étroite surveillance de leur part. Leur antipathie ne
resta secrète pour personne, bien qu’ils ne l’exprimassent pas
par des paroles : « Les coeurs se voient l’un l’autre » dit un proverbe
arabe ; et l’on reconnaît vite un ennemi sous un vêtement
ou sous un caractère emprunté. En outre, les Arabes ne sont
guère habiles à cacher leurs sentiments. Trop passionnés pour
ne pas se trahir p a r le geste ou l’expression du visage, ils sont
bien inférieurs aux Turcs et aux Indiens dans l’a r t de la dissimulation
; e t même quelques branches de la famille européenne
les laissent loin derrière elles sous ce rapport. Cependant, les
Nedjéens, qui se distinguent entre les Arabes par le calme e t la
gravité de leu r maintien, passent aussi pour le peuple le moins
franc de la Péninsule.
Mais nous devions bientôt avoir sous les yeux un modèle
achevé d’hypocrisie. Obeyd-ed-Dib, c’est-à -dire Obeyd le loup,
comme on l’avait surnommé, frère du feu roi e t oncle de Télal,
avait été absent pendant les trois premières semaines de notre
séjour. Dès qu’il fut de retour à Hayel, il s’enquit des élrangers
qui s’étaient introduits dans la capitale.
Il n’y a certes pas lieu de s’étonner qu’il existe un p a rti wahabite
dans un gouvernement fondé p a r l’influence wahabite,
étroitement surveillé p a r la jalousie w ahabite, et reconnaissant
sa dépendance nominale du Nedjed ; ni que ce parti compte dans
ses rangs des hommes considérables par leur naissance et leu r
position, des membres même de la famille royale : c’est le contra
ire qui au ra it lieu de surprendre. Cette faction, peu nombreuse,
à la vérité, est cependant redoutable p ar l’unité de ses
vues, e tle puissant appui que lui prête la cour de R iad. Elle a recruté
dans Hayel ses principaux adhérents et elle reconnaît pour
chef le farouche Obeyd.
Nous avons vu que le frère aîné de ce prince, Abdallah, père