
gérée, où les Bédouins nous sont représentés comme une
sorte de chevaliers errants, véritables types de l’homme
libre; peut-être aussi le lourd et creux formalisme de
quelque principicule de la côte ou de la frontière, plus qu’à
demi ottomanisé; des légendes apocryphes telles que celles
de Lamartine, et les sentimentalités superficielles de son
école : voilà tout, ou peu s’en faut, ce que nous possédons
sur ce sujet, et c est d après cela qu’on veut que nous nous
formions une opinion sur l’Arabie et les Arabes. Mais ce
n ’est ni dans le désert de Syrie, ni sur les frontières du
Hedjaz, ni dans les rues de Mokha ou sur les marchés de
Mesched-Ali, encore bien moins à Bagdad ou à Damas, qu'il
faut chercher et qu’on trouvera une idée vraie du pur es-'
prit arabe, et des véritables usages aussi bien que des moeurs
de la nation.
M. Palgrave voyageait sous les dehors d’un Arabe de Syrie,
et il se donnait comme un médecin de profession. Ce
déguisement avait ses avantages, et de très-grands avantages
; mais il a eu aussi ses inconvénients. S’il lui a donné
de nombreuses facilités et une grande liberté d’études intimes
près de toutes les classes, depuis les plus élevées jusqu’aux
plus humbles, et s’il lui a fourni de nombreuses
opportunités de recueillir une foule d’informations sans
éveiller la méfiance habituelle que des questions de ce genre
font naîtrejenant d’un étranger, d’un autre côté il lui interdisait
l’usage, et même la possession, de toute espèce
d’instruments physiques ou astronomiques, et conséquem-
ment il lui ôtait la possibilité des observations scientifiques.
C’est un inconvénient qu’il a fallu accepter ; et vraiment
on n ’a pas la force de s’en plaindre, quand on voit par
quelle masse de notions précieuses sur la condition sociale et
politique de l’Arabie centrale, et même sur les généralités
de la configuration physique, le voyageur a su le racheter.
Pourtant il ne faudrait pas prendre trop à la lettre la
réserve par trop modeste de M. Palgrave-sur l’insuffisance
du côté purement géographique de son voyage. Si sa
pensée, comme il le dit, s’est attachéeà l’homme plus qu’au
sol, et si l’impossibilité où il se trouvait de faire des observations
astronomiques ne lui a pas permis de donner autant
de développement qu’il l’aurait voulu à ce côté de l’expédition
dont il sentait si bien l’importance, il n’en est pas
moins vrai qu’à part les déterminations precisesde latitude,
de longitude et de hauteurs barométriques, il a rapporté une
foule d’indications d’une très-grande valeur sur le caractère
général et la configuration relative des diverses parties
de la Péninsule qu’il a successivement traversées. Jamais
on n’avait embrassé d’une vue aussi large et aussi sure 1 ensemble
de l’Arabie. On en connaissait les provinces maritimes,
et les voyageurs avaient vu quelques parties des
immenses déserts qui limitent intérieurement la zone littorale
sur tout son pourtour; mais on n’avait qu une idée
très-vague et très-incomplète de la région centrale que ces
redoutables déserts séparent des provinces littorales. Ce
sont ces parties centrales, à beaucoup d’égards les plus remarquables
de la Péninsule, que M. Palgrave, le premier,
nous aura fait bien connaître. C’est presque une révélation.
Le type général de l’Arabie, tel que M. Palgrave le représente,
est celui d’un plateau central entouré d’un cercle de
déserts, sablonneux dans le sud, l’ouest et 1 est, pierreux
dans le nord. Ce cercle extérieur est à son tour bordé d une
ligne de montagnes, basses et stériles pour la plupart, mais
qui atteignent, dans le Yémèn et l’Oman, une hauteur et
une largeur considérables en même temps qu’un haut degré
de fertilité ; puis enfin, après ces montagnes, une bande
étroite de littoral aboutit à la mer. La superficie du plateau
central est un peu moins que la moitié de la Péninsule en