
porains, Mahomet les accuse seulement d’associer au Maître
suprême des puissances secondaires ; mais il y a loin de là au
paganisme tel que nous le comprenons. Lat, Ozzah, Minah, les
demi-dieux des Koreychites, dont les noms écrits sur la pierre,
étaient l’objet de la vénération publique, ne ressemblent nullement
à la Pallas ou au Mars des anciens. L'ansab et Yazlam, si
sévèrement anathématisés p a r le Prophète, étaient de simples
symboles, des instruments de superstitions, comme la baguette
de l’augure ou le trépied de la Pythonisse. Si un culte avait été
rendu aux images, il aurait certainement provoqué les fougueuses
déclamations du Knox arabe, qui se montre inexorable
pour des fautes beaucoup moins graves.
Le temps immémorial, l’Arabie a eu foi dans un Etre suprême,
créateur et souverain ordonnateur de toutes choses.
Plusieurs auteurs ont avancé que cette croyance avait été a p portée
dans la Péninsule par les Juifs ; mais leur supposition,
très-erronée selon moi, ne saurait s’appliquer avec vraisemblance
qu’à une faible partie de la nation. Des témoignages authentiques
prouvent que le monothéisme était, dès les premiers
âges, la religion des Arabes ; ce dogme élevé a été pourtant
obscurci p a r deux superstitions différentes : le sabéisme, ou la
croyance aux forces planétaires, et le fétichisme, dont les grossières
pratiques étaient répandues dans les classes inférieures.
Le culte des astres date d ’une époque fort reculée; car le quatrième
roi de la dynastie yémanite avait pris le nom d’Abd-esh-
Shems (serviteur du Soleil), et le Coran parle avec indignation
des honneurs rendus à Zahra, l’étoile du matin. Quant au fétichisme,
les anciennes traditions du pays et les coutumes suivies
encore aujourd’hui dans la Péninsule, en attestent suffisamment
l’existence.
Cette double altération d’une foi plus ancienne et plus pure
existait dans le Kasim; mais c’est à Darim que l ’on attribue la
restauration officielle du culte sidéral. Le fait n’a rien d’invraisemblable,
si l’on considère que le règne de ce prince coïncide
avec l’époque où les Arabes s’affranchirent de la règle musulmane.
Nous eûmes, en trav e rs an t le Kasim, la bonne fortune
de rencontrer sur notre route un antique vestige des superstitions
sabéennes.
Nous avions fait halte su r le revers des plateaux pour jo u ir de
VOYAGE D’HAYELA BEREYDAH. 221
la vue magnifique qui se déroulait sous nos yeux. A nos pieds
s’étendait la plaine immense au milieu de laquelle s’élevaient
les bois de palmiers d’Eyoun, ses maisons, sa ' citadelle, à demi
cachées p a r d’épais feuillages; au loin, vers la droite, les plantations
et les cultures qui entourent la ville de Rass apparaissaient
comme une tache sombre sur le fond uniforme de sable;
des bourgades, de riants hameaux animaient le paysage, et de
tous côtés on apercevait les hautes tours du Kasim. Près de nous
cependant se dressait u n monument plus remarquable, qui
excitait l’intérêt et la curiosité des Arabes eux-mêmes.
A peine avions-nous commencé à descendre l ’étroit et sinueux
sentier qui conduit du plateau dans la plaine, que nous
aperçûmes d’énormes pierres brutes placéçs debout su r le sol,
les unes isolées, les autres Surmontées de masses semblables,
posées transversalement. Leur disposition semblait annoncer
qu’elles avaient fait partie d’un vaste cercle dont, au reste, on
voyait encore non loin de là quelques fragments. Nous en comptâmes
huit ou neuf; deux d’entre elles, séparées p a r une distance
de dix à douze pieds, et couronnées encore du quartier
de rocher qui leur servait de linteau, devaient avoir figuré un
gigantesque portail. Les pierres transversales semblaient ne
former qu’un seul bloc avec celles qui les soutenaient ; je
poussai mon chameau près de l’une d’elles, j ’allongeai le bras
et j ’essayai de l’ébranler avec mon bâton, mais je n’y pus p a rvenir.
Elle était élevée d’environ quinze pieds au-dessus du sol.
La nature de ces pierres fait supposer qu’elles ont été extraites
des montagnes calcaires voisines ; elles sont grossièrement taillées,
mais sans la moindre prétention à l’élégance et à la symétrie;
on n’y retrouve non plus aucune cavité qui fasse supposer
qu’elles aient pu servir pour des sacrifices. Les gens du
pays attribuent leur érection à Darim, qui, d it-o n , les au ra it
construites de ses mains, afin de les employer à quelque oeuvre
de sorcellerie, car c’était un magicien. Nos compagnons nous
assurèrent qu’il existait du côté de Rass un autre cercle de
menhirs, de pareilles dimensions; un troisième se trouve aussi
vers Henakiah, sur les frontières de l’Hedjaz.
Il n’est pas douteux, selon moi, que ces étranges constructions
n’aient eu un b u t religieux ; si les savants ne se trompent
pas en regardant les cromlechs de Stonehenge et de Garnac