
en vers; pourquoi un sauvage, né poète, revêt ses conceptions d’images
et de métaphores. « Nous avons planté l’arbre de la paix, dit un orateur
américain , nous avons enterré la hache sous ses racines, nous
reposerons désormais sous son ombrage; nous nous joindrons pour
étendre la chaîne qui unit nos nations ». Telles sont les métaphores
accumulées', dont les harangues publiques de ces peuples sont remplies.
Aussi ont-ils adopté promptement ces figures vives, cette liberté
et cette hardiesse de style, que dans la suite les hommes instruits ont
jugés si propres à exprimer les transitions rapides de l ’imagination et
les mouvemeus d’une ame passionnée' ».
« Les prêtres, les législateurs, les philosophes, dans les premiers
âges de la Grèce, donnèrent leurs instructions en vers ; ils y joignirent
le charme de la musique et des fictions héroïques».
a Que la poésie soit le premier genre de composition chez tons les
peuples; c’est une chose bien moins surprenante, sans doute, que
de voir un style si difficile en apparence, et si éloigné de l’usage ordinaire,
être presque aussi universellement le premier qui parvient à sa
maturité. Le plus admiré des poètes vécut avant les temps de l’histoire,
et, pour ainsi dire, avant les temps de la tradition. Les chansons sans
art du sauvage, les légendes héroïques des Bardes, ont quelquefois une
beauté, une pompe, à laquelle la perfection du langage ne pourroit
rien ajouter, et où la critique la plus raffinée ne trouveroit rien à réformer
* ».
« Quoique dans les conceptions d’Homère, le discernement soit égal
à la sublimité, nous ne pouvons remonter au-delà de ces temps, et
nous ne voyons pas de lumière qui ait devancé le flambeau de son
génie et le feu divin de son ame. Ce qui est invention dans les autres, est
en lui une inspiration ; et l’on s’aperçoit que c’est moins la réflexion
'Essai sur l’Histoire de la Société civile, par Adam Ferguson, traduit de l’anglais ,
par M. Bergier, T. II, p. ion,
‘ Ibidem, p. 108 et 109.
qu’un instinct naturel qui a présidé au choix de ses pensées et de ses
expressions ‘
« Mais, quel que soit le penchant des hommes pour la poésie dès
les premiers temps, quelques avantages qu’ils aient pour réussir dans
ce genre de littérature; soit que les compositions poétiques n’arrivent
les premières à la perfection que parce quelles sont les premières cuir
tivées, ou soit que la poésie ait un attrait particulier pour les imaginations
vives qui sont aussi les plus propres à perfectionner l’éloquence
de leur langue naturelle ; c’est un fait remarquable que non-seulement
dans les pays où tous les genres de composition sont indigènes et nés
suivant l ’ordre de la progression naturelle, mais même à Borne et dans
l ’Europe moderne, où ils ne furent introduits que d’après des modèles
étrangers , on trouve dans toutes les langues des poètes qui se lisent
avec plaisir , tandis que les prosateurs contemporains ne méritent
aucune attention ».
« Dans la Grèce, Sophocle et Euripide précédèrent les historiens
et les moralistes. Chez les Latins, non-seulement Nævius et Ennius
qui écrivirent en vers l’Histoire Romaine; mais Lucilius, Plaute,
Térence, nous pourrions ajouter Lucrèce lui-même, furent antérieurs
à Cicéron , à Salluste et à César. L’Italie faisoit ses délices du Dante et
de Pétrarque, avant qu’elle eût un seul bon écrivain en prose. Corneille
et Racine en France, ouvrent le beau siècle des compositions en prose
et l’Angleterre avoit non-seulement Chanceret et Spenser, mais encore
Shakespear et Milton, tandis que ses essais, en fait d’histoire et de
sciences, étoient encore au berceau, et ne méritent quelque considération
que par rapport aux matières qui en font l’objet * ».
J ai transcrit ces passages, parce qu’ils prouvent que le talent poétique
dépend d une faculté bien plus active et bien plus indépendante
qu’un ensemble quelconque de facultés intellectuelles.. Ce que Fer-
guson dit d’Homère, est applicable aussi à Pétrarque et au Dante qui
1 Ibidem, p. m .
* Ibidem, p. r i 3 et 115.