leurs manifestations. Étudiez les nuances des qualités et des facultés,
ainsi que oelles de leur mimique , et si vous voulez rendre 1 expression
du concours de plusieurs penchans, de plusieurs sentimens, de plusieurs
pensées, faites de ces gestes, de ces monvemens musculaires, de ces
cris, de ces attitudes, ce que vous faites de vos paroles , de vos caractères
alphabétiques, de vos caractères numériques; combinez ces principes
élémentaires, autant que vos sentimens et vos pensées sont
combinés; et vous parlez, vous entendez le langage universel. Vous en-
tendezle même langage des brutes, et celles-ci vous devinent en grande
partie; vous interprétez au juste les gémissemens de 1 enfant nouveau-né,
et celui-ci entend les caresses de sa mère. C’est l’etude approfondie de
ce langage qui révèle à l’acteur les mystères de la pantomime, qui
ajoute aux récits des événemens un charme particulier, qui fait des
arts muets, des arts de la peinture, du dessin , de la sculpture, les arts
les plus éloqueiis.
Si ce langage n’est pas aussi généralement parfait qu il peut 1 etre ,
c’est qu’on l’a négligé beaucoup; il est trop facilement remplacé par le
langage de parole. Mais observez les sourds-muets , avant quils n aient
reçu aucune instruction : l’exactitude et la prestesse avec lesquelles
ils se communiquent les mouvemens de leur ame, leurs émotions, leurs
sentimens, leurs pensées, leurs intentions vous prouveront que le langage
d’action a plusieurs avantages sur les langues parlées. Ne voit-on pas
tous lesjours,que de nombreux rassemblemens du peuple interprètent,
sans s’y tromper ,les pantomimes de nos spectacles? Roscius^s’engageoit à
traduire, par des gestes , les périodes de Cicéron, avec la plus grande
fidélité, alors même qu’il plaisoit à l’orateur d’en changer le caractère,
en variant le tour ou en transposant les mots. D’après cela on
a tort de dire que le langage d’action n’est pas assez développé, qu’il
n’est pas assez richeet qu’il manque de finesse. Il faut au moins avouer
qu’il demeure toujours le plus énergique et le seul dont nous connois-
sions l’usage dans les excès de la passion, lorsque la violence de nos
sentimens nous prive de la réflexion nécessaire pour les exprimer
par des moyens de pure convention. Chez les idiots même et chez les
aliénés, le langage d’action nous sert encore d’interprête de la foiblesse
et du désordre dont leur esprit est frappé.
Le langage d’action sera d’autant plus parfait et intelligible, que lés
sentimeris et les idées qu’on veut rendre, sont sentis plus vivement. C’est
pourquoi les hommes et les peuples doués d'une grande vivacité de caractère
emploient communément et simultanément le langage d’action
et le langage de parole. 11 est difficile pour tout le monde de se passer
toul-à-fait du premier, quand même le dernier seul suffiroitpour nous
faire entendre. Nous supportons mieux une déclamation outrée, que
1 assoupissante monotonie d’un discours ou d’une lecture, et il n’est
pas de farce plus révoltante et en même temps plus risible que d’en-
. tendre des paroles déclamées avec des gestes et des intonations contradictoires.
La liaison intime et immédiate qui existe entre le langage d’action et
les opérations des organes du cerveau, est aussi la source de cette sympathie,
qui, moyennant le langage pathognomique, fait naître en nous
les mêmes sentimenset lesmêmespensées, dont le pantomime est animé
lui-même. De là ce précepte: Ni vis meflere,flendumestprimum ipsitibi.
On a fondé là-dessus une théorie sur l’influence que les signes exercent sur
nos sentimens et sur nos idées. Mais les signes ne sont rien, n’ont aucune
signification pour des êtres incapables des sentimens et des idées que
ces signes expriment. Ces signes ne seront pas même compris; ils ne
réveilleront ni un sentiment, ni une idée déterminés, avant que l’individu
n’ait éprouvé auparavant des idées et des sentimens analogues.
Il s’en suit que l’influence des fonctions intérieures sur les signes extérieurs
doit nécessairement précéder l’influence des signes extérieurs sur
les fonctions intérieures; que les fonctions sont la condition sinequâ
non des signes, et non ceux-ci des fonctions. Cesremarques restreignent
singulièrement la proposition adoptée par les idéologistes, savoir que
sans signesnous ne penserions presquepas '.Sans sentiment et sans idées
il n’y auroit pas de signe, et un langage quelconque ne peut jamais avoir
plus de signes que ceux qui le forment, n’ont d’idées et de sentimens. De
1 Voyez ce que j’ai dit sur ce sujet, p. g 3 et suiv. de ce volume.