
Ce garçon donna l'éveil aux habitans de Vienne. Un avocat vint me
témoigner son chagrin de ce que son fils, âgé de cinq ans, s’occupoit exclusivement
de nombres et de calculs, et de ce qu’il étoit impossible de
fixer son attention sur antre chose, même sur les jeux de son âge. Je
comparai cet enfant avec le premier : je ne pus trouver d autre ressemblance
entre leurs têtes, qu’une saillie proéminente remarquable aux
angles externes des yeux, et immédiatement à côté. Dans l’un comme
dans l’autre, l'oeil étoit en quelque sorte couvert par la paupière supérieure
à son angle externe.
Ces deux exemples de talens distingués pour l’arithmétique, et la
coïncidence d’une conformation semblable de la même région de la
tête firent naître en moi l’idée que le talent pour le calcul pourroit bien
■ être une faculté fondamentale dépendante d’un organe particulier; car
à cette époque j’avois déjà fait de grands pas dans ma théorie de la pluralité
des organes.
Je fus à la recherche d’hommes distingués par leur talent pour le
calcul. Je me souvins d’abord de M. le conseiller Manlelli, dont l’occupation
favorite étoit d’inventer et de résoudre des problèmes de mathématique
et d’arithmétique en particulier. Je trouvai la même conformation
de la tête dans la région de l’angle externe de l’oeil. J’allai
voir M. le baron de Vega, auteur des tables des logarithmes, et le professeur
de mathématiques d’alors, qui pour tout ce qui ne concerne
point cette science, étoit un homme fort médiocre. Je trouvai encore la
même forme de tête dans l’un et dans l’autre. Je parcourus les familles
et les écoles, et je me fis montrer les enfans qui se distinguoient de
leurs condisciples par le talent pour le calcul ; comme je trouvai le
même caractère extérieur chez tous, qu’est-ce qui eût pu m’empêcher
encore de considérer le sens des nombres comme une faculté particulière,
et d’admettre un organe particulier de cette faculté?
Histoire naturelle du sens des nombres.
L ’homme ne crée rien ; son intelligence est bornée à reconnoître ce qui
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existe. Si nécessairement un pl us un égale deux, et deux fois deux quatre
ce n’est point le talent de l ’homme qui a créé cette nécessité, mais son
talent reconnoit cette nécessité en vertu de lois éternelles et immuables.
Les angles opposés d’un parallélogramme seront éternellement
égaux, que cette loi soit ou non reconnue par un sage; et il en est de
même de toutes les vérités mathématiques. Si les mathématiciens s’emparent
avec raison de l’optique, de l’astronomie, de la musique, etc.,
en tant que ces sciences ont besoin de l’application du calcul, je demande,
si.les lois de la réfraction des rayons lumineux, les lois des
vibrations de l ’air et des corps sonores, les lois du mouvement en général,
si ces matériaux, que le mathématicien met en oeuvre, ont dans
le monde extérieur une existence réelle et indépendante de l ’esprit
qui les conçoit et les combine, ou si c’est le génie du mathématicien
qui les crée? Si elles ont une existence indépendante du génie qui les
soumet au calcul, ce que mes lecteurs m’accorderont sans peine, il s’en
suit qu’il existe un monde extérieur pour le talent du mathématicien
comme pour tous les autres talens, et que son mérite se borne à
concevoir ce monde extérieur.
Or, l’homme doit avoir reçu un organe pour ces objets ; organe à
l aide duquel il se trouve mis en rapport avec eux ; à l ’aide duquel
une série particulière de lois lui est révélée. Sans cet organe il est
impossible même qu’il soit instruit de l’existence de ces lois. Lorsque
cet organe a acquis un haut degré de développement et d’activité, ces
secrets se trouvent en quelque façon dévoilés devant lui. L ’homme
devine le monde extérieur, et les opérations de cet organe sont en harmonie
avec les véritables proportions des quantités, avec les lois delà
réfraction , des vibrations et du mouvement en général.
S’il en étoit autrement, comment ce talent pourroit-il quelquefois
se trouver à un si étonnant degré de perfection chez des enfans et des
hommes absolument grossiers? Indépendamment des deux cas que j’ai
rapportés, tous les journaux ont parlé , avec le ton de l’admiration
d’un garçon de sept ans, nommé Devaux. Il avoit la passion de se
rendre à toutes les foires, et d’attendre les marchands au moment où
IV . I