
ami. Un médecin perd un malade après avoir épuisé tous ses moyens
physiquesetmoraux.Seroit-ilpossible que je me fusse trompé? peut-être,
si je n’a vois pas fait telle chose , si j’avois agi de telle autre manière, le
malade n’auroit pas succombé ! Plus d’une fois, je n’ai retrouvé la parfaite
tranquillité de mon ame, que par suite de l’ouverture du défunt;
dernière épreuve de notre savoir et de nos erreurs.
Combien les remords seront-ils plus réels, lorsque des personnes encoie
douées d’un sens moral énergique et d’une grande bienveillance se
seront laissées entraîner à des actions en elles-mêmes mauvaises ou criminelles.
A peine auront-elles repris l’usage entier de leur caractère
habituellement prédominant, que l’opposition, la contradiction entre
l ’action commise et leurs dispositions naturelles se feront vivement
sentir; et que les plus noirs remords assailleront leur esprit. Qu une
bonne mère abandonnée de son amant, et deshonoree devant le monde,
dans un instant d’égarement et de désespoir, porte une main tremblante
sur son en fant nouveau-né, et le prive de la vie : lorsque le fatal con-
cours de circonstances et les affreuses émotions intérieures seront passées,
le sentiment inné de l’amour maternel , le sentiment de 1 horreur de son
action se réveilleront. Il s’établira un combat terrible entre ses dispositions
naturelles et son crime; le meurtre de son enfant sera toujours
présent à ses yeux, et empoisonnera son existence. Un homme bon et
honnête , dans un violent accès de colere, avoit tue sa femme ; il fut
condamné à une réclusion perpétuelle. 11 eut préféré mille fois la mort,
parce qu’il sentoit que le reste de ses jours il auroit le coeur déchire par
les remords les plus effroyables.
Ce qui, dans ces cas, arrive subitement, ne manque pas d’arriver tôt
ou tard à ceux qui, étant bons et bienveillans, sont dominés en même
temps par des qualités nuisibles. Ce sont ces hommes qui ne font pas
toujours le bien qu’ils veulent, mais qui font souvent le mal qu’ils ne
veulent point; c’est un mauvais penchant qui les maîtrise ; lorsqu’ils
veulent faire le bien, ils éprouvent une autre puissance qui s y oppose.
Il résulte, delà, un mélange de caractère et une alternative d’actions
qui paroît inexplicable à ceux qui ne sont pas familiarises avec les mobiles
intérieurs, et souvent contradictoires de nos actions. Les meilleurs
hommes sont quelquefois en proie aux vices les plus déplorables : à la
débauche la plus honteuse, au vol, etc., etc. Adrien ne s’est-il pas
souillé, par sa passion pour Antinous, et Trajan par la sienne pour
Sura? Aujourd'hui, ils marchent dans le grand chemin des pécheurs-
demain, ils se rangent dans un coin parmi les pénitens; et c’èst ainsi
que-leur vie se passe entre le vice et les remords, selon qu’ils consentent
à suivre tantôt telle impulsion, tantôt telle autre.Lorsqu’enfin, ils
sont blâsés sur les jouissances déréglées, ou que les concupiscences illicites
s’émoussent, ils ont bientôt un retour salutaire sur eux-mêmes;
ils désapprouvent sincèrement leur vie passée, réparent le mal et le scandale
par une conduite d’autant plus exemplaire, que le sentiment du
juste et de la bienveillance les inspire davantage.
Quand le sens moral n’est plus échauffé et éclairé par la douce flamme
de la bienveillance, il devient très-sujet à caution. H se trouve livré aux
errreurs du raisonnement, aux instigations de l’amour-propre et de
l’égoïsme.
Les exemples et les habitudes l’égarent, et lui servent de règle plutôt
que les véritables notions du bien et du mal. Les symptômes de l’indifférence
et de l’altération du sentiment du juste et de l’injuste se manifestent
partout. On fait, on voit faire, on imite sans regrets et sans
remords, les choses évidemment immorales. On ne juge plus bien ou mal
que ce que la législation commande ou interdit expressément. Les lois
sont éludées; la bonne foi est trahie dans les transactions, pourvu qu’on
échappe adroitement au ressentiment de la justice. Dans le commerce
avec lesnégocians, les artisans, les agriculteurs, etc., les belles paroles:
Mettez-là la main, frappez dans la main, sont taxées de bonhomie
vieillie; l’homme confiant est toujours la dupe "de la fraude, sans que
personne le plaigne, sans que personne blâme le trompeur; dans la
moindre entreprise, il faut s’envelopper de mille formalités : riche
moisson pour la chicane et toute espèce d’artifice; les épigrammes, les
chroniques scandaleuses, les colporteurs de la calomnie et de la malice
sont les objets favoris du public; attaquer et noircir le mérite, et lui