
d’autres circonstances peuvent entraver le développement de.la partie
cérébrale, au moyen de laquelle le Créateur a voulu se révéler au genre
humain, tout comme le climat et d’autres influences peuvent favoriser
le développement du même organe. Dans l’Egypte, le berceau de tant
de sectes religieuses, cet organe avoit reçu un haut degré de développement
et d’activité; tout le contraire a lieu chez les Caraïbes, les Hottentots
et les Pampous. S’il existoit un peuple , dont l’organisation
fût tout-à-fail défectueuse sous ce rapport, il seroit aussi peu susceptible
d’idée et de sentiment religieux, que tout autre animal. Un pareil
rétrécissement d’un organe quelconque amènerait le même résultat à
l ’égard de sa fonction. Ce sont de véritables imbécillités partielles.
Mais je ne connois aucun peuple qui soit dans ce cas. Quelques
voyageurs , ne voyant parmi certaines petites nations, ni temples , ni
autels, ni idoles, ni culte religieux public, ont cru que l’esprit de ces
hommes n’alloit pas plus loin que leurs monumens , et ils ont prononcé
trop légèrement qu’ils vivoient comme des brutes , et qu’ils ne
rendoient aucun hommage divin à quoi que ce soit de visible ou d’invisible.
On sait qu’on rencontre à-peu-près les mêmes usages, quant à
un culte divin, non-seulement dans 1 île de Crète, dans les îles de
l ’Archipel, dans la Phrygie , dans la Thrace , dans l’Asie-Mineure, mais
encore dans la Colchide, dans la Bactriane, jusqu’aux Portes Caspiennes
et aux Indes, qui étoient, pour les anciens, les bornes les plus reculées
du monde connu. On sait également que les Caraïbes ont leur grand
esprit Chemiin ; que les Hottentots et les Pampous, chez lesquels pourtant
la partie cérébrale affectée aux sentimens religieux est le moins
développée, rendent hommage aux Dieux Fétiches. Il est donc constant
que le sentiment de l ’existence d’un Dieu et du besoin d’un culte religieux
atoujours été l’apanage de toutes les nations.
On objecte encore que les idées relatives à Dieu et à la religion ne
naissent jamais chez les sourds-muets, et l ’on en conclut qu’il n’y a pas
chez l ’homme de disposition naturelle à ces idées.
Mais croit-on que l’homme dont l’esprit est le plus développé parvînt
à avoir de Dieu et de la religion les idées que nous en avons, s’il n’avoit
pas été élevé dans ces idées? La foi des sectateurs quelconques'est
l ’oeuvre de l’éducation, d’une instruction arbitraire, et les idées que le
philosophe se' forme de Dieu sont le fruit des abstractions les plus relevées.
L’on ne peut attendre ni l’un ni l ’autre d’un sourd-muet dont
1 éducation n’auron pas été dirigée vers cet objet. Mais on pourroit deviner
ce que feraient des sourds-muets, vivant entre eux en peuplades,
daprès ce que 1 on voit faire à tous les peuples grossiers, car le défaut
de l’ouïe n’empêche pas les sourds-muets de se faire du monde extérieur
la meme idée que sen font les autres hommes, et de tirer des évé-
nemens qui se passent sous leurs yeux, les memes inductions.
J ai présenté le développement siicessif, les nuances et les modifications
du sentiment religieux et de l’idée d’une divinité dans un ordre inverse de
celui qui est adopté par le plus grand nombre des auteurs ; l’on suppose
ordinairement que les hommes, incertains sur la nature des puissances
dont ils éprouvoient à chaque instant la secrète influence, attribuèrent
d’abord ces pouvoirs à des corps animés, par exemple à des fétiches
et puis à des créatures vivantes. Ce ne seroit qu’après qu’ils auraient
atteint un certain degré de culture et de civilisation qu’ils se seraient
élevés à l’adoration des êtres: Plus tard ils adoptèrent, dans cette supposition,
des dieux titulaires pour chaque individu, pourles villages
les villes, et même pour les fleuves et les forêts; et après bien des
efforts et des combinaisons, ils finirent par concevoir l’idée abstraite
métaphysique, d’une intelligence indépendante, d’un Dieu, seul créateur
et maître de l’univers.
L ordre dans lequel j’ai exposé la marche des peuples à 1 egard des
idees et des sentimens religieux, me paraît plus conforme et à la tradition
et à la raison. L ’expérience nous apprend que de tous les temps
les idées justes sur la nature de la divinité ont dégénéré en superstition
et en idolâtrie. Les Hébreux connoissoient Jehova. Mais malgré
les défenses de Dieu, leur inclination pour l’idolâtrie étoit telle, qu’ils
y revenoient toujours. Ils ne purent abandonner la grande vénération
qu’ds eurent, comme d’autres peuples, pour les montagnes, les hauts
lieux et les bois.