
Dieu est aussi ancienne que l’existence de l’espèce humaine. La nature
elle-même a gravé l’idée de Dieu dans tous les coeurs 1 ; et celte idée
est trop sublime pour que l’homme eût pu s’élever jusqu’à elle si la
nature elle-même ne l’y conduisoit.
Or , le sentiment ou la eonnoissance de la divinité emporte infailliblement
avec soi un culte religieux , c’est-à-dire un assemblage de
devoirs par lesquels l’homme lui fait un humble aveu de sa dépendance
par les hommages qu’il rend à la dignité de son être; par son obéissance
à se soumettre aux lois qu’elle lui prescrit; par sa reconnoissance
pour les biens qu’il tient d’elle, et par le recours qu’il est obligé d’avoir
à elle pour ceux qu’il en attend et qu’il en espère.
C’est pourquoi les moyens que les hommes mirent en oeuvre pour se
rendre agréables à la divinité, sont aussi anciens que la croyance même
en un Dieu; et prouver la généralité et la haute antiquité de cette
croyance, c’est prouver la généralité et l’antiquité la plus reculée d’un
culte religieux. De même, comme toute religion suppose l’idée d’un
Etre suprême, quiconque aura prouvé la généralité et la haute antiquité
d’une religion quelconque, aura aussi démontré la généralité et
la haute antiquité de la croyance en Dieu. Toujours et partout les
hommes ont été conduits par un instinct, par un besoin secret de se
mettre en rapport avec un Etre tout-puissant.
Mais l’esprit humain, trop limité,n’a purassembler sous un seul point
de vue, l’infinité des attributs de Dieu. Il fut réduit à én faire une
espèce de partage ; à les représenter comme pièce à pièce par divers
noms, divers emblèmes dont chacun ne marqua que quelqu’une des
perfections qu’il lui supposoit. L ’homme ne peut voir Dieu qu’en
enigme, comme parle Saint-Paul, il se le figure sous des images sensibles,
lesquelles sont autant de symboles qui s’élèvent par degrés jusqu’à
lui.
Voilà pourtant l’origine de l’idolâtrie et du reproche bien mérité
que l’homme est un animal adorateur. En effet, l'homme adore tout,
1 In omnium animis de nolionem impressit ipsa natura, Cic. De nat. Deorum.
le feu, l’eau, la terre, le tonnerre, les éclairs, les météores, les sauterelles,
les grillons. Les Mexicains adoroient Viziliputzli, le Dieu de
la guerre etTescaliputza le Dieu de la pénitence. Les Nègres et les Sauvages
de l’Amérique ont le culte des Dieux Fétiches; il a pour objet des
animaux ou des êtres inanimés, même les plus bizarres. Le serpent rayé
est la divinité naturelle des peuples de Juidah. Plusieurs peuples américains
ont pour dieux des crocodiles, comme les Egyptiens, ou des
poissons de mer comme les Philistins. Dans la presqu’île d’Yucatan
les enfans sont mis sous la protection d’un animal choisi au hasard,
et qui devient la divinité tutélaire de sa personne. Les Samoïdes et
les Lapons rendent un culte de latrie à plusieurs espèces d’animaux,
à des pierres qu’ils graissent, comme on adoroit autrefois en Syrie les
jfierres appelées Boëtiles, et comme en Amérique l’on adore encore des
pierres coniques. Les anciens Arabes avoient pour divinité une pierre
carree, et le Dieu Casius des Romains que Cicéron appelle Jupiter-
Pierre, étoit une pierre ronde coupée par moitié. Jacob lui-même érigea
et graissa une pierre au lieu où Dieu s’étoit manifesté à lui par un
songe. Les Hébreux avoient, comme la plupart des autres peuples, une
grande vénération pour les montagnes, les hauts lieux et les bois’. Les
anciens Germains avoient pour divinité des arbres touffus, des fontaines,
des lacs; ils adoroient, comme font aujourd’hui les Lapons, des
troncs informes qu’ils regardoient comme la représentation de la divinité.
Les Francs adoroient les bois, les eaux, les oiseaux et les bêtes.
Ces premières formes de culte établies chez les Egyptiens, chez les Hébreux,
chez les Germains, on les retrouve chez les anciens peuples de
la Grèce, et 1 on ne peut qu’être frappé de la conformité. Des pierres
Boëtiles, des troncs informes, des cippes grossiers, furent ensuite les
premiers dieux des Grecs. La Vénus de Paphos étoit une pyramide
blanche; la Diane de 1 île d’Eubée, un morceau de bois non travaillé;
la Junon Thespienne, un tronc d’arbre; la Pallas d’Athènes et la Cérès’
un simple pieu qui n’étoit pas dégarni ; la Matuta des Phrygiens’
étoit une pierre noire à angles irréguliers, que l’on disoil tombée du
ciel à Persinunte, et dans la suite elle fut apportée à Rome avec beau-
IV . 3a