
la plume à la main; il l'achève : les deux résultats n’étoient pas d’accord.
L ’enfant retourne dans son coin, refait son calcul, et revient en assurant
qu’il ne s’est pas trompé; d’Alembert vérifîoit le sien. Mais
monsieur, dit tout-à-coup l’enfant, avez-vous songé aux années bissextiles?
d’Alembert les avoit oubliées, et le petit pâtre avoit raison ».
« Comme on lui proposa de multiplier ia 3 par 237, son père objecta
que deux nombres triples étoient trop difficiles. L’enfant répondit qu’il
pouvoit les multiplier, et tint parole; il multiplia même, et très-promp-
tement, 1234 Par ia 34. Cependant, on voit que les questions difficiles
le fatiguent, et il prie souvent qu’on ne lui en donne pas de si compliquées.
Pendant qu’il répond, on voit à son maintien, à l’état de ses
yeux, à la contraction de ses traits, combien son esprit travaille«.
« Sa physionomie est très-expressive ; il a le front petit, mais angulaire;
les arcs orbitaux /les sourcils) considérablement avancés ses
yeux sont gris, spirituels et toujours en mouvement; son crâne est
arqué et considérablement large ; il a l’occiput petit, lés cheveux roux ;
il est singulièrement fort et grand pour son âge , ses mouvemens sont
précipités, et il est toujours en action».
| Il n’a jamais été à l’école, et il ne sait ni lire ni écrire. On lui demanda
comment il faisoit ses calculs, il répondit qu’il les voyoit clairement
devant lui. Il n’a point encore d’idée des fractions, et ne sait
compter que les nombres ronds. Il est le cinquième de sept enfans, dont
aucun ne se distingue par des facultés remarquables. Son père Abiah-
Colborn est né avec six doigts à chaque main, et Zerah est le seul des
enfans d’Abiah en qui se trouve cette singularité.
« M. Mac-Neven rappela, à l’occasion de Zerah-Colborn, un autre
personnage (Jedidiah-Buxton) connu dans le siècle dernier par une
extraordinaire aptitude au calcul, mais qui n’éloit accompagnée d’aucune
sorte d’esprit. Jedidiah paroissoit même privé de quelques-uns
des sentimens les plus ordinaires. La musique ne lui olfroit rien qu’une
confusion de sons; et conduit à une pièce de Shakespear, jouée par
Garrick, il ne s’occupa qu’à compter le nombre de mots prononcés
par ce grand acteur.Zerah-Colborn annonce, au contraire, beaucoup
desprit; il est prompt à la répartie, et quelquefois mordant. Quelques
jours avant la visite de M. Mac-Neven, une femme s’étoit divertie à lui
demander .- combien font trois zéros, multipliés par trois zéros? -
Précisément ce que vous êtes, dit-il, rien du tout »;
« Il nous paroît fort à craindre, ajoute M. Mac-Neven, que les efforts
d attention auxquels on soumet Zerah-Colborn, ne fatiguent ou ne désorganisent
cette jeune tête, et ne détruisent d’avance tout ce qu’on enpour-
roit espérer si elle étoit laissée au cours naturel de ses idées et de sesdéve-
loppemens. Il est encore possible que ces développemens s’arrêtent par
un nouveau jeu de la nature qui les a produits, ou même que ces facultés
extraordinaires s’oblitèrent et se détruisent. M. Mac-Neven cite l’exemple
de M. Van-R., du village d’Utica, vivant aussi aux Etats-Unis qui, à l’âge
de six ans, se distinguoit par une singulière facilité à calculer de tête; à
huit ans, il perdit entièrementcette faculté sans savoir comment. Actuellement,
M. Van-R. calcule comme tout le monde, la plume à la main
ni mieux ni plus vîte qu’un autre, et ne conserve pas la pluslégère idée
de la manière dont il calculoit de tête dans son enfance' ».
Le jeune garçon de St.-Pôlten me dit aussi qu’il voyoit les nombres
sur lesquels il opéroit comme s ils étoient écrits sur une ardoise. C’est
ici le lieu de parler du talent de la fille de lord Mansfield, que M. Spur-
zheim vit à Londres, lorsqu’elle avoit treize ans. Cette jeune demoiselle
égale presque Zerah-Colborn; elle extrait avec une grande facilité la
racine carrée et la racine cubique de nombres de neuf places.
Qui est-ce qui cherchera chez ces enfans leur grande facilité pour le calcul
dans les facultés prises collectivement, dans une faculté générale
de tirer des conclusionsPToutes ces difficultés disparoissent, du moment
où l ’on admet un organe particulier pour le talent par lequel se distinguent
ces individus. Dans cette hypothèse, l ’on conçoit que l’organe
des nombres peut, dans certains cas, recevoir un développement pré- *
mature et une activité extraordinaire, tout comme ceux de l ’instinct
de la propagation, de la musique, etc., etc.
7 Annales del’e’ducation, rédigées par F. Guizot, n°. g.