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médecin ; mais il étoit né pour la poésie, et il fit des vers malgré
eux.
C’est ainsi que Molière , dominé par sa passion pour les vers et pour
le théâtre, triompha de l ’opposition de sa famille, et devint le premier
génie de son siècle.
Boileau, que son père avoit placé chez un notaire, montrant un
invincible dégoût pour la chicane, on lui proposa de se faire ecclésiastique;
mais la théologie ne lui plut pas davantage, et il se livra tout
entier à son inclination à faire des satires.
Schiller étudia d’abord la jurisprudence à laquelle il renonça bientôt
pour la chirurgie et la médecine dont il se dégoûta également en peu
de temps. Les remontrances de ses parens, les conseils de ses amis, ni
les ordres absolus de son souverain, ne purent le détourner de son
goût dominant pour la poésie, les langues anciennes, l’histoire et la
haute philosophie. Il dit dans ses ouvrages, en parlant de lui-méme :
« Le sort, par un de ses caprices bizarres, voulut me condamner à être
poète dans ma ville natale. Un penchant irrésistible pour la poésie
blessa les lois de l’institut où je fus élevé, et contraria le plan de son
fondateur ».
Tant, ajoute le biographe J.-J. Berché, chez les hommes d’un génie
supérieur, la nature, toujours entraînante, l’emporte souvent sur la
force, les principes et le but même de l’éducation.
Quels que puissent être les talens et les connoissances qui dirigent
un poète distingué dans le choix de ses sujets, il n’en est pas moins
certain que ce ne sont point ces talens et ces connoissances qui constituent
le génie poétique; que pour faire un poète, il faut une faculté
propre et indépendante de toutes les autres. Mais qu’est-ce qui constitue
la force fondamentale dont dépend ce talent, c’est-à-dire
quelles fonctions remplit l’organe de la poésie dans les cas où il n’a
acquis qu’un degré de développement Ordinaire? Voilà ce que je n’ose--
rois décider. Mais je puis affirmer que c’est le développement considérable
d’une partie cérébrale déterminée, qui produit le talent
poétique. Je puis indiquer avec exactitude la région de la tête où cette
DU CERVEAU.
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paitie cérébrale est placée, et décrire la proéminence par laquelle elle
se manifeste dans le crâne.
Dii talent poe'tic/ue dans la manie.
« J’avois peine quelquefois, dit M. Pinel, à suivre la garrulité incoercible
et une sorte de flux de paroles disparates et incohérentes d’un
ancien littérateur, qui dans d'autres momens tomboit dans une taci-
lurnité sombre et sauvage. Une pièce de poésie dont il avoit fait autrefois
ses délices, venoit-elle s’offrir à sa mémoire, il devenoit susceptible
d’une attention suivie; son jugement sembloit reprendre ses
droits, et il composoit des vers où régnoient non-seulement un esprit
d’ordre et de justesse dans les idées , mais encore un essor régulier de
l’imagination et des saillies très-heureuses' ». Dans un autre endroit
le même auteur s’exprime ainsi :
« Certains faits paraissent si extraordinaires, qu’ils ont besoin d’être
étayés des témoignages les plus authentiques, pour n’être point révoqués
en doute. Je parle de l’enthousiasme poétique qu’on dit avoir
caractérisé certains accès de manie, lors même qne les vers récités ne
pou voient être nullement regardés comme une sorte de réminiscence.
J’ai entendu, moi-même, un maniaque déclamer avec grâce, et un
discernement exquis , une suite plus ou moins longue de vers d’Horace
et de Virgile, depuis long-temps effacés de sa mémoire, puisqu’après
son éducation il avoit fait un séjour de vingt années dans les colonies
de l’Amérique, uniquement livré aux soins de sa fortune, et que les
revers seuls, produits par la révolution, l ’avoient jeté dans l ’égarement
de la raison. Mais l’auteur anglois que j ’ai déjà cité , atteste
qu’une jeune personne , d’une constitution très-délicate et sujette à
des affections nerveuses, étoit devenue aliénée; et que, pendant son
délire, elle s’exprimoit en vers anglois très-harmonieux, quoiqu’elle
n’eût montré antérieurement aucune sorte de disposition pour la poésie
,Van-Swielen rapporte aussi un autre exemple d’une femme qui, du-
* Sur l’aliénation mentale, § 210 ; p. 242.