lettres d’un alphabet ou les chiffres, et composer des noms et des
nombres; nous avons même sous nos yeux l’exemple d’un cochon,
dressé ’à arrêter les perdrix; qui n’a pas vu la danse de l’ours et les
tours innombrables du singe turbulent? On ne dira certainement pas
que ces choses aient été données à ces animaux pour leur propre conservation.
D’où vient-il donc que toujours encore certains philosophes
ont l ’air de dédaigner les faits, et qu’ils parlent des animaux, sinon
comme d’automates, au moins comme d’êtres dont 1 intelligence
chez les uns est entière dès le moment de leur naissance, et chez les
autres atteint très-promptement le degré de développement quils ne
passent presque plus. Leur instinct, disent-ils, est egalement remarquable
par sa promptitude, sa rectitude, sa sagacité, sa surete et par
son peu d’étendue et son immuta'bilite.
L ’organisation des animaux si défectueuse en comparaison de nelle
de l’homme, borne sans doute à bien des égards, leur perfectibilité
naturelle. Mais qu’on observe la vie journalière de plusieurs espèces
d’animaux, et on sera forcé de reconnoître qu’ils jouissent de la mémoire,
de la faculté de saisir des rapports, et de juger, du pouvoir
même de réfléchir sur leurs actes ; que la mesure de leur intelligence
dépend très-souvent des circonstances; qu’elle s’étend lorsqu’elle est
mise en action soit par la nécessité, soit par l’instruction, et qu elle ne
reste resserrée que par le défaut d’exercice. Et dans ce dernier cas,
l ’homme est-il plus heureux ? Lorsqu’il est continuellement occupe a
pourvoir à ses besoins de première nécessité , ne reste-il pas aussi dans
le cercle étroit des connoissances qui y sont immédiatement relatives ?
Pour prouver ce principe, suivons, d’après Charles-George Leroy,
les progrès que fait l’intelligence des chiens, selon les différons usages
auxquels on les emploie. Ces progrès sont dus les uns à l’instruction
qu’on leur donne; les autres à l’expérience propre, aux réflexions que
les chiens font d’eux-mêmes sur les faits. Le chien de basse-cour, presque
toujours à l’attache, chargé seulement de la fonction d’aboyer aux
inconnus, reste dans un état de stupidité qui seroit à peu près le même
dans tout autre animal dont l’intelligence n’auroit pas plus d exercice.
Le chien de berger, continuellement occupé d’un office qui exige une
activité qu’excite la voix de son maître, montre beaucoup plus d’esprit
et de discernement. Tous les faits relatifs à son objet s’établissent dans
sa mémoire. Il en résulte pour lui un ensemble de connoissances qui
le guident dans le délit, et qui modifient ses actions et ses mouvemens. Si
le troupeau passe auprès d’un champ de blé, vous verrez le vigilant gardien
rassembler sa troupe, l’écarter des plantes qui doivent être ménagées,
avoir l’oeil sur ceux qui voudroient enfreindre la défense, enimposer aux
téméraires par des mouvemens qui les épouvantent, et châtier les obstinés
auxquels l’avertissement ne suffit pas. Si l’on uereconnoît pas que
la réflexion ou la perfectibilité^seule peut être l’origine de cette variété
de mouvemens faits avec discernement, c’est-à-dire en raison des circonstances
, ils deviennent absolument inexplicables. Car si le chien
n’apprenoit pas de son maître à distinguer le grain d'avec la pâture
ordinaire du troupeau, s’il ne savoit pas que ce blé ne doit pas être
mangé, s’il ignorait que la vivacité de ses mouvemens doit être proportionnée
à la disposition des moutons, s’il ne reconnoissoit pas cette
disposition, sa conduite n’auroit point de motif, et il n’auroit point
de raison suffisante pour agir.
Suivons aussi cet animal à la chasse pour voir le développement et la
perfectibilité .de son intelligence. La chasse est naturelle au chien qui est
un animal carnassier. Ainsi l’homme, en l’appliquant à cet exercice, ne
fait que modifier et tourner à son usage une aptitude et un goût que
la nature avoit donnés à l ’animal pour sa conservation personnelle. Delà
résulte, dans les actions du chien, un mélange de la docilité acquise,
et du sentiment qui lui est naturel. L’un ou l ’autre de ces deux élémens
se fait plus ou moins apercevoir, selon les circonstances qui lui donnent
plus ou moins d’activité. La nature est plus abandonnée à elle-même,
et plus libre dans le chien courant que dans les autres. L’habitude de
l’assujétissement le rend attentif, jusqu’à un certain point, à la voix et
aux mouvemens de ceux qui le mènent; mais, comme il n’est pas toujours
sous leur main, il faut que son intelligence agisse d’elle-même,
et que son expérience personnelle rectifie souvent le jugement des