
que par ses profondes connoissances. Cet homme a pour les Voyages
une passion invincible qui se manifeste souvent par un besoin urgent et
instantané de changer de place. Ces accès sont tellement violens, qu’ils
ont tous les caractères d’une véritable maladie. Quelquefois, en se réveillant
la nuit, il ne peut s’empêcher de courir à travers champs. Il
eut un semblable accès par un froid très-rigoureux : malgré tout ce que
put objecter sa raison , il se leva, s’habilla dans l’obscurité, et prit sa
course à l’instant même. Ce ne fut que lorsqu’il eut fait à peu près
deux lieues, ayant de la neige jusqu’aux genoux, qu’il put gagner sur
lui de rentrer et de se remettre au lit. Le docteur Beutel, qui, à
cette époque, n’avoit encore aucune idée de l’organologie, me dit
que la seule chose qui l’avoit frappé dans Cet homme, étoit deux énormes
proéminences du frontal, précisément au-dessus de la naissance
des sourcils.
M. Fodéré, d’après un mémoire de M. Savary, intitulé : Faits pour
servir a l'histoire des lésions des facultés intellectuelles, rapporte un
exemple d’une véritable aliénation de cet organe.
« Un charpentier., âgé de quarante-sept ans, ayant toutes les apparences
d’une bonne santé, est assailli d’une foule d’idées insolites et
incohérentes. 11 croit souvent planer dans les airs, il parcourt par la
pensée des campagnes riantes, des appartemens, de vieux châteaux,
des bois, des jardins qu’il a vus dans son enfance; quelquefois, il croit
se promener dans des cours, des places publiques et autres lieux qui
lui sont connus. F.n travaillant, au moment où il va donner un coup
de hache sur un point déterminé, une idée luipasse dans la tête, lui fait
perdre de vue son but, etle coup porte sur un autre point, etc. Un
jour il se lève à minuit pour aller à Versailles , et s’y trouve arrivé sans
se rappeler qu’il a fait la route, etc.
«Toutes ces hallucinations n’empêchent pas le malade de raisonner
juste. Il s’étonne, il rit lui-même de toutes ces visions fantastiques,
sans pouvoir cependant s’y soustrairei ».
' Traité du Délire, T. I , p. 345, 346-
Cette faculté est quelquefois très-active, même dans l ’idiotisme plus
ou moins complet. A Dresde, M. Blode nous parla d’un homme qui se
trouve très mal à son aise toutes les fois qu’il est obligé de rester plus
d’un ou de deux jours dans le même endroit. Remploie toute l’année
à parcourir la plus grande partie de la Saxe, de la Lusace et de la
Silésie. Il a son étape fixe pour chaque jour. Il va voir tous les propriétaires
auxquels il fait des complimens de leurs parens et amis;
les veux fermés et le corps immobile, il raconte jusqu’aux plus petits
détails de son voyage avec une volubilité étonnante. M. Blôde nous
assure que cet homme a aussi les deux proéminences du sens des localités
très-marquées..
Après toutes les preuves que je viens d’alléguer, pourroit-on douter
encore que le sens des localités ne fût une faculté fondamentale, affectée
à la partie cérébrale que je lui ai assignée?
Sens de l’ordre.
Le sens des localités faisant connoitre les rapports de l’espace, j’ai
été tenté d’admettre qu’il pourroit aussi être le sens du goût, de la symétrie
et de l’ordre. 11 est constant que certaines personnes sont privées de
tout esprit d’ordre; et que d’autres sont peinées à l’aspect de la moindre
irrégularité dans l’arrangement, par exemple, des meubles, des tableaux
, etc. Ce sentiment va quelquefois jusqu’à la passion, même dans
des idiots. J’ai déjà cité le soi-disant sauvage de l ’Aveyron, dans l'institution
des sourds-muets, à Paris. Je connois plusieurs exemples pareils.
D’un autre côté, je connois aussi des individus qui ont l’organe
du sens des localités développé à un tel point, qu’ils passent leur
vie à courir le monde, et qui cependant sont à peine sensibles au
désordre le plus dégoûtant dans leur intérieur, ce qui-laisse soupçonner
que l’esprit d’ordre doit être rapporté à une faculté fondamentale
particulière ; et par conséquent aussi à un organe particulier.
M. Spurzheim parle d’une demoiselle qu’il a vue à Edimbourg,