
nèbres ; elle a épuré et fixé l'idée qu’il se faisoit de Dieu et de ses devoirs.
Ainsi donc le penchant naturel de l'homme pour les idees religieuses,
non,seulement n’est point en opposition avec la religion révelee, mais
la révélation eût été absolument impossible, si l’espèce humaine ny
avoit pas été préparée par le moyen de son organisation. ^
Il est remarquable,que même ceux, qui font dériver toute idée religieuse
d’un commerce personnel de Dieu avec les premiers hommes et avec
Moïse se servent, comme par instinct, des mêmes expressions qu ont
employées Sénèque et Cicéron pour rendre compte de la généralité
de la croyance en Dieu. Ils disent tous que ce sentiment a été grave
dans le coeur de tous les hommes les plus féroces aussi bien que les
plus humains.
Dans cette hypothèse, on explique naturellement comment, maigre
les altérations et les changemens survenus chez les différens peuples,
il s’y trouve néanmoins partout une certaine uniformité,même dans les
fables qui ont rapport à l’existence de Dieu, a certains points de morale
et à plusieurs observances qui supposent les mêmes ou de semblables
principes. '
Danslamême supposition, il est encore facile de concevoir comment
les idées religieuses doivent avoir passé de générations en générations,
comme un héritage commun à tous.
Selon que cet organe coexiste avec d’autres organes également très-
actifs, la dévotion se combine de différentes manières avec les qualités
ou facultés qui en résultent. Le guerrier dévot, comme Gustave-
Adolphe et le sanguinaire Suwarow, invoquera Dieu avant la bataille,
pour obtenir de lui la victoire , et il astreindra ses soldats à la prière.
Le dévot cruel, comme Louis X I , Philippe II et plus d un autre tyran j
prouvera son zèle pieux en armant l’inquisition, en faisant des
auto-da-fé, et en remplissant de ses propres mains les fonctions de
bourreau. L’artiste dévot, comme Philippe Champagne, évitera scrupuleusement
tout ce qui est licencieux, et ne représentera que des sujets
sacrés. Le philosophe et le naturaliste dévots, comme Newton, Bonnet,
Kleinjogg et Clarke, verront partout dans la nature le doigt de Dieu et
rendront partout honneur au Créateur, ou même comme Malebranclm
feront découler toutes nos idées de Dieu et soutiendront que l’on
voit tout en Dieu. Le poète dévot, comme Milton et Klopstock, chan-
tera les mystères de la religion.
Je connois un libertin dévot qui paie les femmes publiques en leur
donnant des livres de prières. Chez cet homme l’organe de la dévotion
et celui de la propagation sont l’un et l’autre très-développés.
Ces combinaisons vont à l’infini, pour l’organe de la dévotion
comme pour tous les autres, dans l’état de santé comme dans la manie!
Comme tous les penchans peuvent devenir la source du mal, de
même le penchant le plus élevé du genre humain n’est pas exempt de
tout inconvénient. Pour peu que les hommes soient bornés, ils tiennent
naturellement aux objets de vénération de leur propre création, et
auxquels ils prêtent un pouvoir surnaturel. Un phénomène constant
observe chez toutes les nations prouve, que trop souvent ce penchant
dégénéré aux dépens du sens moral. Par tout .et dans toutes les sectes
de religions, les hommes se croyent beaucoup plus obligés de remplir
scrupuleusement les promesses et les devoirs qu’ils s’imposent envers
les idoles de leur imagination, envers les fétiches, etc., que de remplir
les devoirs d une pure morale. On esta genoux devant une image;
on est l’esclave d’une croyance fanatique ; on s’impose des obligations
aussi pénibles que ridicules, tandis que l’on ne se fait aucun scrupule
d enfreindre les lois de la société et de la nature. Qui n’a pas fait la
triste expérience que là, où les ministres de la religion n’entretiennent
le peuple que de mystères et de dogmes, l’intolérance, la fraude, le
parjure, le vol, les assassinats, les viols, les incestes, etc., se commettent
avec une déplorable indifférence? On perdroit plutôt la vie
que de rompre le voeu d’une certaine abstinence.
L esprit du vulgaire n’est pas assez exercé pour pouvoir embrasser
plusieurs sentimens et plusieurs idées d’une nature différente. Une
fois imbu de dogmes stériles, il y est tout entier; il en est frappé bien
plus fortement que des préceptes conformes à la vie sociale. Là, il
se croit lié à des êtres tout-puissans, à des forces mystérieuses et
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