
A Vienne, déjà je connoissois des hommes doués de facultés intellectuelles
très-distinguées, zélés sectateurs de Kant. La trop grande
généralité des assertions qui constituent leur doctrine, m’a toujours
fait croire qu’elle est sans aucune utilité pratique. Leur dogme, par
exemple, que le temps et l’espace ne sont qu’une forme à laquelle
notre entendement est assujéti, me paroît d’une généralité telle qu’il
ne trouve d’application à aucune science ni à aucun art. C’est pour
cela qu’eux et moi nous n’avons jamais pu nous entendre. Ils me reprochoient,
comme l’ont fait plus tard dans le reste de l’Allemagne
les sectateurs de la philosophie transcendante, de ne pas m’élever
au - dessus du dernier échelon de l'observation ; je leur reprochois
de mon côté de se perdre dans le vague, au-delà des limites du
monde sensible ; de vouloir déterminer les lois du monde corporel
d’après celles d’un monde spirituel, et de construire tout le mondé
extérieur avec de prétendus matériaux pris dans leur intérieur, au lieu
de faire de l’observation la base de leurs raisonnemens.
Pendant nos voyages, on nous donna un plâtre moulé sur la tête de
Kant, après sa mort. Ce fut avec un vif plaisir que nous vîmes la saillie
extraordinaire des deux parties frontales que j’ai indiquées. Voyez son
portrait PL LXXX1I1, fig. 3. Plus tard, nous fîmes la connoissancè
de M. Fichte, et nous trouvâmes la même région de son front encore
plus saillante que chez Kant, nous vîmes la même organisation dans
M. Schelling; il ne peut pas être question ici de ces nombreux sectateurs
qui ne font que répéter les paroles du maître.
Il paroît prouvé par l’expérience que tant que l’homme est condamné
à habiter cette terre, il n’y a pas de fruit à tirer pour lui des spéculations
de cette sublime philosophie, et que nous ferons très-bien, par
conséquent, de nous renfermer dans la sphère d’activité que nous offre
le monde des réalités.
Quelquefois, il est vrai, l’on est forcé d’admirer la profondeur de
1 esprit humain, lorsque de loin en loin l’on voit ces hommes, sinon
par la seule force du raisonnement, au moins par l’induction d’un petit
nombre de données, découvrir des vérités auxquelles le naturaliste
DU CE RVEAU.
n’ose donner son aveu qu’après une nombreuse et pénible suite d’expériences.
Cependant ces résultats, aussi admirables que rares, sont
des rayons de lumière bien brillans, sans doute, mais qu’il est très-
difficile de distinguer des feux follets qui éblouissent ordinairement le
génie du métaphysicien.
Les anciens avoient probablement senti déjà le rapport qui existe
entre cette organisation et la tendance à s’occuper de choses élevées
au-dessus de la portée des sens, par conséquent hors la sphère de
l ’observation. Ils donnent, à leur Jupiter Capitolin, cette même proéminence
dans la partie antérieure-moyenne-supérieure du front : marque
caractéristique qui convient parfaitement à l’intelligence suprême.
Je suis loin de nier que l ’intuition intérieurene puisse devenir aussi un
objet d’observation ; mais lorsque je vois que cette intuition conduit,
dans chaque individu, à des conclusions différentes, et ne se prête, par
conséquent, à aucune observation certaine ; lorsque je vois qu’au milieu
du monde corporel, qu’au milieu d’institutions fondées sur la matière et
les corps, les métaphysiciens, comme Berkley l’a déjà fait, il y a plus
d’un siècle, vont jusqu’à révoquer en doute l ’existence de la matière
par les sophismes les plus puérils, soit dans l’intention d’éloigner d’eux
le reproche du matérialisme ; soit que, par une semblable extravagance,
ils prétendent s’élever au-dessus de l’humble observateur de la
nature; lorsque je vois dans tous les siècles les efforts aussi frivoles
que profonds des idéologistes tour à tour se détruire et se renouveler •
lorsque je vois que les métaphysiciens de profession afïectent une
aversion pour les recherches sur l’homme tel qu’il existe : je doute que
jamais un tel emploi de l’esprit métaphysique puisse prétendre à un
autre mérite qu’à celui de la simple spéculation.
XXII. Esprit caustique, esprit de saillie.
Une troisième manifestation particulière de la faculté intellectuelle,
est celle que les Allemands ont appelée w itz, et les Anglois wit. Je