
ierions, à l’aspect d’un malheureux, d’un homme souffrant, seroit de
l ’éloigner de nous, au lieu de courir à son secours. Cette sympathie,
ce sentiment de bienveillance est donc le ciment de la société humaine ,
de la félicité publique.
On trouvera difficilement une famille tant soit peu nombreuse, dans
laquelle il n’y ait quelques individus qui se distinguent par leur bon
coeur, par la sensibilité, par une bienveillance semblable à celle dont
j’ai cité quelques exemples de l ’histoire dans la découverte du signe extérieur
de cette exellente qualité ; tandis que d’autres individus donneront
des marques d’une rebutante insensibilité , d’égoïsme, de la
méchanceté et même quelquefois d’un penchant à la cruauté.
Tous les jours, je rencontre le triste spectacle d’animaux que Ton
maltraite inhumainement : c’est un pauvre mouton qu’on frappe à
coups redoublés, en le traînant à la boucherie; c’est un malheureux
cheval succombant sous le fardeau que son barbare conducteur déchire
de coups de fouet, après l’avoir impitoyablement surchargé. Mais je ne
suis pas le seul dont le coeur saigne à l’aspect de ce triste traitement.
Jeunes et vieux, hommes et femmes, habitans et étrangers, font éclater
leur indignation contre de pareilles cruautés. Il n’est personne qui n’ait
formé le voeu que les animaux fussent pris sous la protection de la bienveillance
publique. Si quelquefois encore, les grands trouvent une
jouissance sauvage à mettre aux abois un malheureux cerf, du moins
n’y a - t - il pas encore eu de si vil flatteur, qui ait mis ces restes de
l’ancienne barbarie , au nombre des vertus royales.
L ’homme est plus généralement bon, juste et bienveillant, que méchant
et injuste ; surtout quand il est calme, quand il n’est pas agité
en sens contraire. Les gens de moeurs simples, le peuple, le paysan
aisé, les artisans industrieux sont très-bienfaisans envers leurs semblables.
On voit rarement parmi eux un orphelin qui manque de trouver
tous les secours que sa position réclame; et leur usage est de le traiter
comme leurs propres enfans, souventmême avec plus d’égards. Rarement
le pauvre, qui a frappé à leur porte, se retire la main vide; l’impulsion
directe enfin est toujours celle de la bienveillance pour les malheureux.
On accuse les enfans d’être cruels, parce que souvent ils se plaisent
à tourmenter les animaux, que des personnes insensibles sacrifient à
leur amusement; mais ils n’ont pas l’idée des souffrances qu’ils causent
à un oiseau, à un hanneton, parce que les signes de douleur, dans ces
etres , ne sont assez sensibles.ni assez analogues, pour que la commisération
des enfans en soit excitée. S’ils jouent avec un chien, et qu’ils
lui arrachent un cri de douleur, la pitié naturelle se réveille presque
toujours. Il est rare de les voir résister à ce sentiment.
Le peuple court avec empressement aux exécutions; il recherche
avec ardeur le spectacle de ces sacrifices sanglans. Peut-être faut-il
dans ce cas, l’accuser plutôt de grossièreté que de barbarie. Des larmes
abondantes attestent toujours la compassion du plus grand nombre
des spectateurs. L ’horreur qu’inspire le criminel s’anéantit souvent
pour ne laisser place qu’à la pitié. En cela, j’aperçois un autre motif
secret : toute force demande à être exercée. C’est surtout le sentiment
de la bienveillance qui éprouve ce besoin. Toutes les scènes tragiques
attirent une foule de spectateurs ; chacun aime à s’y arrêter à se bien
bien pénétrer de pitié, à s’identifier avec les souffrances des autres. Il
n’y a qu’un petit nombre d’êtres assez mal organisés pour jouir des
tourmens dont on accable leurs semblables.
Plusieurs moralistes ont déjà donné, comme une preuve de la bonté
naturelle des hommes, l’attendrissement universel dont on est saisi
dans les spectacles tragiques, lorsque des scènes bien ménagées donnent
de la vraisemblance aux événemens qui sont représentés. 11 est
aisé d’y remarquer tout ce qu’ajoute, à une impression généralement
ressentie, la communication des sentimens ; et la rapidité avec laquelle
l ’émotion se propage, ne permet pas de supposer quelle soit due à
aucun retour sur soi-meme. Lorsque dans les romans, les situations
sont amenées d’une manière naturelle, lorsqu’un heureux tissu d’évé-
nemens vraisemblables nous a tellement attachés, que le fabuleux a
disparu pour nous, les personnages nous intéressent, et nous partageons
toutes les émotions dont ils sont eux-mêmes agités. Il résulte de
ces faits, qu’il suffit de faire oublier aux hommes les intérêts parti