
che une compagne; lorsqu’il aime ses enfans et leur donne des soins;
lorsqu’il se' défend lui et les siens contre ses ennemis; lorsqu’il est orgueilleux,
vain, bienveillant, cruel, avare, rusé, circonspect; qui ne
sait que tout cela alieu sanssa participation, et sans qu’il réagisse sur
lui-même ? Qui ne conçoit que tous ces sentimens sont des mouvemens,
despenchansindépendans de la réflexion?
Ils ne sont rien moins que le résultat de l’attention , des pensées délibérées,
de la préméditation, des déterminations Constituant des actes
de volonté. Ils sont de véritables instincts.
Il en est de même des facultés intellectuelles; aussi celles ci s’exercent
dans beaucoup de cas, par pur instinct ou purement instinctivement.
Toutes les fois que les organes de ses facultés ont acquis un degré de
développement considérable, ou qu’ils ont reçu une incitation au moyen
d’un stimulus quelconque, ils agissent involontairement, sans réflexion,
sans jugement. L’enfant découpe et bâtit, fait de la musique ou des
vers, recherche dans les souris et dans les chatsla cause des phénomènes
de la vie, etc., etc., et tout cela par une aveugle impulsion intérieure.
Ges individus sont si éloignés d’avoir la conscience de leurs facultés,
que plus tard, lorsqu’on les y rend attentifs, ils sont tout étonnés de
se trouver des qualités ou des facultés si extraordinaires.
Cette action instinctive continue chez la plupart des hommes à avoir
lieu plus ou moins exclusivement durant leur vie toute entière. Il n’y
a que peu de personnes qui parviennent à acquérir une conscience
claire de leurs penchans et de leurs facultés. Plus l’action de l’organe
est violente , plus la passion est impérieuse; plus le génie est brillant,
plus l'activité de l ’organe est instinctive, au moins dans les premières
périodes de sa manifestation. Aussi, je suis frappé d’admiration eu lisant
les lignes suivantes, que Voltaire, qui lui-même a fait tant de
choses par instinct, écrit à Diderot, sous la date du 20 avril 1773:
« Tous les philosophes , fondus ensemble, n’auraient pu parvenir à
faire l’Armide de Quinanlt, ni les Animaux malades de la peste, que
fit Lafontaine, sans savoir même ce qu’il faisoit. Il faut avouer que
dans les actes du génie tout est l’ouvrage de l’instinct. Corneille fit la
scène d’Horace et de Cornélie, comme un oiseau fait un nid, à cela
près qu'un oiseau fait toujours b ien, et qu’il n’en est pas de même de
nous. »
Ce n’est que lorsque l ’homme porte son attention sur ses forces intérieures
innées, lorsqu’il les compare avec les forces des autres , lorsqu’il
apprend à connoître leur usage , et qu’il apprend à les employer
selon la diversité des circonstances extérieures, lorsqu’il devient pour
lui-même un sujet de réflexion, que ses instincts acquièrent peu-à-peu
le caractère de l ’intellect ou de l’entendement. Être doué d’intellect
ou avoir de l’intelligence, c’est donc, en d’autres termesvavoir une conscience
claire de ses-penchans et de ses facultés, les ressentir et les
exercer avec attention. Il y a donc autant de différentes espèces d’intellect
qu’il y a de qualités et facultés distinctes. Tel individu qui a
beaucoup d’intellect ou d’entendement, relativement à une force fondamentale,
peut être très-borné relativement à telle autre. L’homme,
à raison d’organes plus nombreux et plus nobles, est beaucoup plus
capable que la brute d’acquérir une conscience claire de ses penchans
et de ses facultés; et, par cette prérogative, il est doué d’intellect, non pas
exclusivement, mais à un plus haut degré qu’aucun autre animal. Accorder
aux animaux ce que le créateur leur a donné en partage, ce
n’est certainement pas ravaler notre espèce.
Il résulte encore de tout ce que je viens de dire qu’un organe de
l ’intellect ou de l’entendement est tout aussi inadmissible qu’un organe
de l’instinct.