
beaucoup d’artistes de tous les pays alloient à Rome ; cependant, il
n’en est revenu ni un Raphaël, ni un Michel-Ange, ni un Léonard
de Vinci, ni un Carrache , sous le rapport du dessin. Rubens même j
malgré tout son génie, malgré tout le feu de son imagination, et l’étude
approfondie qu’il avoit faite de l’antique, de l ’histoire et de l’anatomie,
n’est point du tout au premier rang pour la composition et le dessin.
Les Italiens paroissent être doués d’un organe des arts plus développé
que les habitans des contrées plus septentrionales, tels que les
Flamands, les Allemands, etc. Voilà aussi pourquoi l’Italie a plus
et de plus grands peintres d’histoire que tout autre pays ; car dans ce
genre le sens des arts est plus essentiel que celui des couleurs. Presque
tous les peintres italiens ont esquissé leurs tableaux, soit à la craie
blanche, soit au crayon brun et blanc; plusieurs d’entre eux ne les
ont esquissés qu’à la plume, on en trouve souvent les contours corrigés,
jamais on ne les trouve coloriés : preuve bien forte qu’ils n’ont travaillé
que par l’inspiration du sens des arts. La plupart dés gravures
italiennes décèlent un goût très-épuré sous le rapport des contours,
ainsi que l ’étude de l’anatomie; souvent les sujets en sont tels, qu’il
seroit impossible de les traiter sans être doué à un haut degré du sens
dès arts*
L ’on voit sans peine jusqu’où ces observations peuvent s’étendre , et
combien il sera intéressant un jour de comparer les têtes et les crânes
des différentes nations sous le point de vue du talent pour les arts.
Il est donc prouvé par l’expérience que le sens des arts, ainsi que
son organe, peut avoir acquis un très-haut degré d’activité dès l’enfance,
tandis que les autres qualités ou facultés sont beaucoup moins développées
; que le sens des arts peut à tout âge exister à un degré d’activité-
très-dilférent de celui des autres qualités ou facultés; qu’il peut se manifester
encore, et même avec énergie, lorsque les autres facultés sont
dégradées jusqu’à l’idiotisme ; qu’il peut se manifester dans la manie,
et s’y manifester même dans toute son intégrité ; un sens des arts singulièrement
actif peut se transmettre du père au fils, et de celui-ci au
petit-fils; certaines espèces d’animaux en sont douées; d’autres espèces,
quoique placées d’ailleurs sur un degré supérieur de l’échelle, en sont
privées.
Le sens des arts doit donc être considéré comme une faculté propre
et indépendante de toutes les autres, c’est-à-dire comme une faculté
fondamentale ; il doit donc avoir son organe propre.
Or donc, si l’on ne peut nier ni les faits que je viens de rapporter,
ni les conséquences qui en découlent, il faut admettre que les objets
sur lesquels cet organe est destiné à agir, existent hors de nous; que
par conséquent il existe des lois du mouvement, du dessin, de la
sculpture, du goût; enfin que cet organe du sens des arts n’est autre
Chose que la condition matérielle, au moyen de laquelle le Créateur
nous met en communication avec cette partie du monde, et à l’aide
de laquelle il a voulu nous révéler ce fragment de l’.univers.
Il seroit, je crois, fort superflu de prouver que ces lois existent dans
le monde extérieur. Toute personne qui a étudié les premiers élémens
de la physique, connoit les lois de l’équilibre et du mouvement; et
l’on ne s’attend pas non plus à ce que je développe les lois de la peinture
, de la sculpture et de l’architecture ’. Mais ce que je viens de dire
doit convaincre toute personne qui n’est pas irrévocablement attachée
aux idées reçues, que les arts ne sont point un produit de nos sensations
et de nos réflexions, qu’ils sont au contraire réellement une
institution de la nature.
Jusqu’ic i, en parlant des arts, je n’ai fait mention ni de la composi-
’ «Indépendamment de l’architecture grecque, que toutes les nations ont adoptée
( dit M. J.-F. Sobry, dans sa pratique des arts, p. 374), il existe encore plusieurs
autres genres d architecture ; tel que le genre égyptien , le genre chinois, le genre
gothique et le genre arabesque 5^ ; i'
«Tous ces genres d’architecture sont bien distincts, et cependant ils partent tous
du même principe, qui est la construction primitive ; ils s’y rapportent dans leurs détails
»...Et p. 584, «Les Chinois ont, comme tous les autres peuples, des palais, des
ports, des aquéducs, des arcs-de-triomphe, et toutes les décorations de ces édifices
sont également tirées des constructions primitives ; les moeurs et les coutumes ont
beau mettre les différences dans les formes, on retrouve partout le même principe ».