
et soeurs étoit malade, un penchant plus irrésistible encore le retenoit
à la maison, et il lui prodiguoit les soins les plus assidus. Lorsqu’on
distribuât aux enfans du raisin, des pommes, des cerises, il avoit
toujours la moindre part, et il se rejouissoit de voir les autres mieux
partagés que lui. Il n’étoit jamais plus content que lorsqu’il arrivoit
quelque chose d’heureux à ceux qu’il aimoit; dans ce cas, il versoit
souvent des larmes de joie. Il avoit soin des brebis, des chiens, des
lapins, des pigeons, des oiseaux; et, lorsqu un de ces oiseaux périssoit,
il pleuroit amèrement ; ce qui ne manquoit pas de lui attirer de mauvaises
plaisanteries. Et jusqu’à ce moment, la bienveillance et la bonté
sont le caractère distinctif de cet individu.
Son caractère n’a certainement pas pris cette tournure par l’éducation.
On a tout au contraire tenu, vis-à-vis de lu i, une conduite qui
eût dû produire un effet tout opposé. Je commençai donc à soupçonner
que ce que l’on appelle bon coeur n’est point une qualité acquise, mais
innée.
Dans le meme temps, je parlai, dans une famille tres-nombreuse,
de la bonté de coeur, si vantée du domestique Joseph. Ah! m’interrompit
la demoiselle aînée , notre frère Charles est précisément de
même; il faut absolument que vous examiniez sa tête ; je ne saurais
vous dire à quel point il est bon enfant, etc.
J’avois donc sous les yeux trois sujets dont la bonté de caractère etoit
bien reconnue. Je les moulai tous les trois; je mis leurs plâtres les uns
à côté des autres, et je les examinai jusqu’à ce que j’eusse trouvé le
caractère commun à ces trois têtes, tres-differemment conformées du
reste. Dans l’intervalle, je metois appliqué à trouver des sujets semblables
dans les familles, dans les écoles, etc., pour être en état de multiplier
et de rectifier mes observations. J’étendis aussi mes observations
aux animaux, et je recueillis en peu de temps un si grand nombre de
faits, qu’il n’y a guère de qualité ou faculté fondamentale et d organe
dont l’existence soit mieux établie que celle de la bonté et de 1 organe
propre dont elle dépend.
Histoire naturelle de la bonté, de la bienveillance, de la
sensibilité chez l'homme.
L ’homme naît-il bon ou méchant? Cette question agitée si souvent
par les philosophes et les moralistes , a dû rester indécise jusqu’à ce
moment, parce que les véritables sources de nos penchans, les dif-
férens motifs de nos actions sont restés inconnus. L’élude de l ’organisation
et de son influence sur l’exercice de nos dispositions innées
a été négligée; delà, le vague et l’arbitraire qui régnent dans toutes
les discussions sur le véritable caractère de l’espèce humaine. Les uns
ne sont frappés que des exemples de méchanceté , de malice, de persécution,
d’oppression, d’iniustice, de vengeance, de trahison, d’infidélité
, de parjure, d’envie , d’ingratitude, de calomnie, d’imposture,
d’égoïsme, de faux témoignages, etc. Les autres sont touchés des traits
de bonté, de bienveillance, de justice, de générosité, de reconnois-
sanee, de pitié , de compassion, de désintéressement, de pardon généreux
, de résignation, etc. Les uns citent, à l’appui de leur opinion,
les Tibère, les Caligula, les Néron, les Commode. Les autres vantent
leurs Marc-Aurèle, leurs Antonin, leurs Henri IV, leurs St.-Vincent
de Paule. Ainsi, les détracteurs de notre espèce sont aussi bien fondés
à dire que l’homme naît méchant, que le sont les partisans de l’autre
opinion, à prétendre que l’homme naît bon. Mais de chaque côté est
le tort, d’embrasser l ’une ou l'autre de ces propositions, exclusivement.
Examinons l ’homme sous le double rapport de sa disposition
naturelle à la bonté , et à la méchanceté.
Le Créateur a destiné les hommes à vivre en société. Il falloit donc
les lier étroitement par le moyen d’un principe de sympathie. Us dévoient
partager leurs plaisirs et leurs peines, et souvent même souffrir
plus du malheur d’autrui que de leurs propres maux. La Providence se
manifeste en cela d'une manière frappante. Si 1 es souffrances de nos semblables
exciloient en nous de l’aversion, la première chose que nous