
ôter les moyens de se défendre, est une des maximes en vogue ; la séduction
de l’innocence est un jeu; la fidélité conjugale est de mauvais
ton; les mères confient leurs enfans à des mains mercenaires, sans
autre raison que celle de suivre le torrent de la mode, et pour se débarrasser
des soins trop pénibles de l ’éducation; les enfans aspirent à se
soustraire au pouvoir des pères et mères, etc. Tout autantde preuves
de l’affoiblissement du sens moral par l’esprit du siècle!
Suivons enfin l’homme, organisé assez malheureusement pour être
entièrement étranger au sentiment de la bienveillance et du juste et de
l ’injuste, et qui est en outre puissamment disposé à se livrer à des actes
opposés au devoir et au bien public. Rarement un tel individu trouvera
son juge en lui-même. Les inclinations perverses sont dominantes;
elles composent son caractère propre; par conséquent, les mauvaises
actions sont en harmonie avec lui ; et rarement le contentement de son
ame en est troublé. Ce côté de l ’homme dépravé pourra bien déplaire
à plusieurs de ces hommes qui ne rêvent que les grandeurs de l’espèce
humaine. Mais que l ’on épie l’usurier, le libertin, le fourbe, et l’on
verra que chacun d’eux ne se trouve heureux qu’en proportion qu’il
satisfait ses désirs. J’ai fait, dès ma jeunesse, l’observation triste et effrayante
que les hommes les plus pervers s’enorgueillissent de leurs talens
pour tromper et pour abuser, et qu’ils pensent toujours avec un sentiment
de volupté aux traits marquans de leur vie criminelle. Allez dans
les prisons, placez-vous au milieu de détenus, n’ayez pas l’apparence
d’un personnage en fonction, afin de n’étre pas trompé par un repentir
simulé, et inspirez à ces hommes de la confiance et de la franchise : avec
quelle satisfaction intérieure, avec quelle vanité, avec quelle joie d’avoir
mal fait, les grands criminels vous raconteront, sans.oublier les détails
les plus insignifians, et leurs crimes et la manière particulière dont ils
s’y sont pris pour les commettre ! Si quelquefois un d’eux se donne la
peine d’en parler avec une horreur feinte, il lui échappe ordinairement
un sourire malin qui montre son hypocrisie. La plupart mettent tout
leur esprit à faire les plaisanteries les plus gaies sur les actions les plus
atroces, et fréquemment, dans l’instant même où ils vous font frissonner
d’horreur, ils éclatent de rire. Que l’on compte, dans les prisons,
tous ceux qui s’y sont fait renfermer de nouveau ; on verra alors combien
peu se sont repentis!
Examinez enfin les grands criminels dans les procédures juridiques ;
suivez-les jusques sur 1 échafaud: avec quelle opiniâtreté quelques-uns
ne nient-ils pas les faits les plus évidens! avec quelle audace surprenante
n’insultent-ils pas les témoins qui les accusent! avec quelle sincérité
effrontée et quelle scrupuleuse exactitude d’autres ne racontent-ils
pas une suite de forfaits épouvantables! Un soldat avoit fait des vols
dans vingt églises ; on le conduit à la potence, où il croyoit encore recevoir
sa grâce. Mais, au lieu de montrer aucun repentir, il dit à l’auditeur
Wiedemann , à Vienne : k Je vois bien qu’il n’y a plus rien à
faire ici; je tâcherai d’aller ailleurs». A Vienne,un certain Z*** assassina
sa maîtresse à coups de couteau, pour lui voler trois cents florins; il
dépèce le cadavre pour le cacher plus facilement dans une caisse; se
rend au bal, y passe la nuit, dépense tout son argent, et se livre à tous
les excès d’une joie grossière. M. Bruggmanns, à Leyde, nous a moniré
le crâne du chef d’une bande de brigands hollandois. Celui-ci avoit précipité
plusieurs personnes dansles canaux, uniquement pour les voir se
débattre contre la mort. «Quepeut-onme faire, disoit-il dans sonprocès-
ne suis-je pas un honnête homme? » Schinderhânnes et Hefeermann,
son complice, avoient un plaisir extrême à raconter leurs crimes- leurs
yeux brilloient dans ces récits. Toutes les circonstances accessoires qui
leursembloient propres à donner d’eux une grande idée, leur causoient
la joie la plus vive. Une fille, qui avoit aidé sa mère à tuer son père, ne
témoigna jamais le moindre repentir. Quand on lui parloit de ce crime,
elle haussoit les épaules en souriant. Rossignol se faisoit gloire de sa
barbarie : « Regardez ce bras, disoit-il ; eh bien ! il a égorgé soixante-
trois prêtres aux Carmes de Paris ». Echappé plusieurs fois à la prison •
il commença et redoubla toujours ses pillages, ses cruautés, et les débauches
les plus dégoûtantes. Il y a même de ces scélérats consommés
qui, au moment de leur exécution, en repassant dans leur mémoire
toutes les jouissances dont ils s’étoient assouvis pendant leur vie, se