
roit et jugeoit, sans se douter que la marche de ses idées fût astreinte
à un enchaînement nécessaire. Il étoit logicien long-temps avant
d’avoir une logique. C’est ainsi qu’il jugeoit ce qui est juste et ce qui
est injuste, long-temps avant d’avoir une jurisprudence.
Que l’on ne m’objecte pas des inventions ou des découvertes qui
effectivement sont le fruit des circonstances accidentelles et de l’action
simultanée de plusieurs facultés intellectuelles ; de la combinaison
de l’analyse, de l’abstraction, par exemple telle branche de l ’histoire
naturelle, comme l’organologie. Il n’y a pas d’organe particulier
pour ces découvertes; elles sont le résultat de l ’observation, de la faculté
de reconnoître ce qu’il y a de commun dans les phénomènes
individuels , de reconnoître les lois des phénomènes et d’en appliquer
la connoissance à un’ but déterminé.
Que l’on n’attribue pas le perfectionnement progressif des inventions
et des découvertes à une force particulière. Le perfectionnement
est le fruit de l ’application et de l’expérience; la première invention
est l ’oeuvre du génie.
Que l’on ne m’objecte pas non plus que, d’après mes principes ,
chaque individu humain, supposé qu’il vécût dans des circonstances
favorables pour cela, eût dû inventer tous les arts, toutes les sciences.
L’homme médiocre, ( et partout la grande majorité est formée par les
hommes médiocres ) , n’invente rien; il ne crée rien de lui-méme. Ses
facultés ne suffisent qu’à saisir ce qui est déjà inventé. Il n’y a que
des organes éminemment développés, dont l’activité se porte au dehors,
qui transmettent au monde extérieur leur empreinte intérieure ;
qui créent.
Faites disparoître de la terre la musique, la poésie, la peinture,
la sculpture, l’architecture, tous les arts et toutes les sciences; rendez-
nous les Gluck, les Homère, les Raphaël, les Michel-Ange, les
Canova, etc., etc.; faites naître des hommes de génie de toute espèce,
et la poésie, la musique, la peinture, l’architecture, la sculpture,
et tous les arts et toutes les sciences brilleront de nouveau dans tout
. leur éclat. Deux fois, dans l ’espace des temps historiques, le genre hu^
main a parcouru le grand cercle de son entière destinée- et deux
fois la rudesse barbare a été suivie par le plus haut degré de raffinement.
On a donc grand tort de supposer qu’un peuple est issu de l ’autre
parce que l’on trouve chez eux conformité de moeurs, d’usages, d’arts.
L ’hirondelle fait son nid à Paris comme à Vienne. Les hirondelles
de Paris sont-elles pour cela issues de celles de Vienne? Mêmes
causes, mêmes effets; même organisation, manifestation des mêmes
forces.
Ferguson a parfaitement raison de dire : « Les lettres, aussi bien
que les arts mécaniques, étant un produit naturel de l’esprit humain
dojvent naître d’eux-mêmes partout où les hommes se trouvent dans
une situation heureuse.....» On suppose, en général, que les siècles
ont emprunté de ceux qui les ont précédés, et que les nations ont
tiré d’ailleurs ce qu’elles possèdent d’art et de savoir; on prétend que
les Romains ont tout appris des Grecs, et les modernes d’Europe, des
Grecs et des Romains. Les Grecs avoient copié les Égyptiens, et les
Égyptiens, quoique nous ayons perdu le modèle sur lequel ils s’étoient
formés, ne furent eux-mêmes que des imitateurs.... » Pourquoi
chercher ailleurs l’origine des arts, puisque toute société en renferme
en elle-même les germes, et quelle n’a besoin que d’occasion pour
les mettre au jour. » 1
« La peinture, la sculpture et tous les arts d’imitation sont aussi anciens
que le genre humain; ils sont nés partout où il y a eu des hommes
rassemblés; il n’a été donné à aucun homme en particulier d’en avoir
été précisément l’inventeur. » 2
Ainsi, partout Dieu est l ’artiste, et l’homme n’est que l’instrument.
■ Essai sur l’Histoire de la Socie'té civile, tome II, p. io3.
2 Ibidem.) p. g5.