autrefois, ni la pénétration , ni la prudence, ni les plus grands talens
politiques et militaires , ni le plus haut degré de civilisation, ne sauraient
garantir l ’ignorance contre les pratiques les plus puériles , les
plus absurdes et les plus superstitieuses.
Et les hommes que l’énergie de leurs facultés entraîne à la réflexion
et à la recherche de la vérité, peuvent-ils prémunir leur esprit contre
l’erreur?Peuvent-ils se soustraire aux égaremens les plus extravagans ?
Le fatalisme de Zénon et la liberté absolue et infinie d’Ancillon ;
l’immortalité des âmes des brutes des Iroquois etles animaux machines
de Descartes ; la doctrine de Parmenide, selon laquelle Dieu renferme
toutes les idées, et celle de Mallebranche, selon laquelle nous
voyons tout en Dieu ; la transmigration des âmes d’Empédocle ; les
nombres de Pythagore , qui servirent de direction à l’intelligence suprême
dans la création du monde; les tables rases d’Helvétius; la
formation des mondes par lesmouvemens des atômes , d’après Lucrèce ;
la non-existence de la matière de Berkley ; les molécules de Buffon ;
les monades de Léibnitz; les atômes et le vide de Leucippe et de
Démocrite ; l’approbation du suicide et le mépris de tous les biens
d’Antisthènes et de Diogène ; les souffrances et les abstinences volontaires
d’Épictète ; la joyeuse philosophie d’Aristippe et d’Épicure,
etc., etc., voila quelques échantillons des efforts des philosophes,
dont plusieurs ont fait l’admiration de leur siècle !
Ne parlons point des controverses interminables et si souvent sanglantes
de théologie, de la vacillation éternelle des formes de gouvernement,
de l’enfance de la législation criminelle, de la fluctuation
des principes du droit des gens , de la contestation des droits des nations,
toujours appuyée par la force et par la violence; portons nos
regards sur des objets où l’on serait le plus autorisé de s’attendre à
un perfectionnement indéfini. Que l’on compare aux ouvrages modernes
de l’art le temple de Dindera en Egypte, le Panthéon à Rome,
le temple de Nismes en France, le vaste temple qui existe à Héliopolis
en Syrie, aujourd’hui Bolbec,le cirque immense à Rome, les
arènes dans la ville de Nismes, le théâtre de Marcellus à Rome, la
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colonneTrajane,la colonne Antonine, un temple très-vaste à Pestum,
les temples de Pôle en Istrie, les ruines de Thèbes de Sienne, d’An-
tinoé, de Persépolis, et les ruines les plus étonnantes de toutes, celles
de Palmyre, les thermes de Titeet de Caracalla, les fouilles d’Hercu-
lanum et de Pompeïa, etc.
Que l’on compare les poètes, les peintres et les orateurs de nos
jours aux Homère, aux Virgile, aux Horace, aux Ovide, aux Tasse,
aux Cicéron, aux Michel-Ange, aux Raphaël, et que l ’on soutienne
encore que les productions de notre esprit se perfectionnent toujours
progressivement !
Tout ce que l’homme peut atteindre immédiatement par l’énergie
de ses facultés et de ses qualités, tout ce qui est du ressort du génie;
il l ’a atteint et il l’atteindra toutes les fois que le développement de ses
organes a été ou sera favorisé à un très-haut degré de la part de la nature.
Mais, où les progrès des arts et des sciences demandent un concours
particulier de circonstances heureuses , de combinaisons particulières
, il n’est plus possible de fixer un terme aux connoissances et
aux découvertes. Les arts et les sciences positifs, la géométrie, l’astronomie,
la physique expérimentale, la navigation, la chimie, l’anatomie,
la chirurgie, la médecine, l’agriculture, l’histoire naturelle, etc.,
ne se ressemblent plus, comparées à leur état antérieur. Cependant
comme nos capacités sont toujours bornées, nous perdons nécessairement
des connoissances anciennes ce que nous acquérons des nouvelles.
Et quand même la masse de la société aurait été enrichie d'une
infinité de découvertes, les individus n’en seraient pas plus étonnans.'
Chacun est forcé de se renfermer dans une sphère particulière, pour
rester, tant soit peu; au courant de ses attributions. Et à peine a-t-on
commencé à planer sur la hauteur de son domaine, qu’on est précipité
dans l’abîme du néant.
On voit bien des nations rester pendant des milliers d’années stationnaires
dans la médiocrité; mais aucune ne saurait s’élever longtemps
de plus en plus vers la perfection morale et intellectuelle.
Athènes et Rome sont retombées dans la barbarie ; partout le flux