
facultés, des penchans, des affections et des passions des hommes et
des animaux. 11 est dans la nature de l’homme et de l ’animal, de produire
des sons quelconques dès qu’ils sont affectés, dès qu’ils éprouvent
le besoin de se communiquer à leurs semblables. C’est un effet si
nécessaire à leur organisation, qu’il a lieu même malgré nous; et ces
sons peignent presque toujours si bien nos diverses affections, qu ils en
deviennent les signes naturels les plus certains et les plus distincts.
Antérieurement à tout langage, les organes de nos qualités et facultés
sont actifs; et pour peu que cette action soit vivement sentie, elle se
manifeste soit par des gestes, soit par des sons, des paroles, ou par
cesdeux moyens à la fois. Il s’ensuit que ces signes extérieurs sont tout
au plus proportionnés à l’action des facultés intérieures; c’est moyennant
le langage que l ’homme et l’animal font connoître leurs sentimens
et leurs idées; par-conséquent, le langage de chaque espèce d’animal,
de chaque peuple, de chaque individu, doit être plus ou moins riche,
plus ou moins juste , selon que les sentimens et les pensées sont plus
ou moins nombreux, plus ou moins clairs, vifs et déterminés. Un langage
quelconque ne peut jamais avoir plus de signes, que ceux qui l’instituent
n’ont d’idées ou de sentimens. Les langages et les connoissances
marchent toujours de front ; et dans cette marche progressive, le niveau
se rétablit à chaque instant entre les facultés intérieures et les signes.
Pour transmettre à mes auditeurs ou à mes lecteurs d’une manière claire
mes idées et mes sentimens, je tâche de m’en bien pénétrer, de les
personnifier pour ainsi dire , et la véritable expression se présenté
d’elle-même. C’est pourquoi lalanguela plus perfectionnée est toujours
celle employée par les hommes les plus profonds et les plus éclairés;
et toutes les fois que le langage est pauvre, vague, imparfait, vacillant
on peut accus,er des mêmes imperfections les sentimens et la
série des idées. Le langage des bêtes est, pour la même raison,
très-borné; et l’on conçoit pourquoi celui de certains sauvages ne sera
composé que de trois cents mots. Les mots ne sont créés rju à proportion
du besoin que l’homme en a.
Cette doctrine si fastueusement annoncée est donc fausse : que le
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langage, que les signes en général aient provoqué, dirigé et fixé la
marche de l’esprit humain dans ses combinaisons et dans ses recherches.
J’admets que l’histoire des signes est en même temps l’histoire des progrès
successifs des connoissances humaines. Mais ce sont les connoissances
, les penchans, les sentimens, les talens qui ont produit les
signes; jamais un signe quelconque ne sauroit faire naître un penchant,
un sentiment ou un talent.ll faut d’abord les avoir éprouvés, et ensuite
avoir saisi l ’acception du mot ou du signe inventé par d’autres. Parlez
de métaphysique dans les termes les plus distincts à un animal, à un
imbécile, à un homme très-borné, c’est parler des couleurs à un
aveugle. Vantez à un avare la vertu de la bienfaisance , à un cruel le
charme de la compassion : avec tous vos signes, vous ne réveillerez ni
la bienveillance chez l’avare, ni la sensibilité chez le cruel.
Le langage de parole est, il est vrai, de tous les langages et de tous
les signes artificiels possibles, le plus commode à employer; il ne faut
ni instrumens, ni préparatifs comme pour les figures tracées; il n’exige
ni espace ni liberté de ses membres comme pour les gestes; dans quelque
position que l’on soit, estropié, malade, agissant, on peut produire
ces signes ; on les entend de même de jour comme de nuit, de
loin comme de près, sans se déranger, sans se tourner vers eux; sans
s’en occuper, sans même le vouloir. Ces propriétés qu’ont les sons d’être
les plus naturels et les plus commodes de tous les signes, font que de
tous ils sont ceux qui nous deviennent les plus profondément habituels
par 1 usage, et qui se lient et s’unissent le plus intérieurement en nous
aux idées qu’ils représentent.
11 est vrai aussi que les sons ont la propriété très-précieuse, de pouvoir
devenir des signes permanens au moyen de l ’écriture; ils demeurent
fixes sous nos yeux comme les hiéroglyphes, les dessins, et tous
les autres signes durables; et peuvent comme eux, réveiller en nous, à
chaque instant, les idées dont nous avons été affectés passagèrement,
et nous rappeler celles que nous pourrions avoir oubliées, et qui
servent de liaison nécessaire aux autres.
Nonobstant tous ces avantages si bien détaillés par M. Destut