
Mais ils ont beau y devenir adultes , l'attrait vers une certaine région
ne se fait point sentir, ou du moins ne suffit pas pour les guider. Ils
périssent à la fin, victimes de leur ignorance et de cette naissance
tardive qui leur a ôté les moyens de suivre leurs parens. Si, comme
on le prétend , les actions des animaux s’exécutoient par des forces de
nature aveugles, aucun de ces inconvéniens n'arriveroit. Il n’y aurait
point de naissances tardives. Toutes les actions particulières s’exécute-
roient dans un moment déterminé , comme des pendules bien réglées
sonnent toutes à la même heure ; une partie considérable de l’espèce
ne se trouveroit point sacrifiée aux erreurs de la volonté de ceux auxquels
elle doit la naissance ‘;»v 1
Si à la place de qualités occultes des anciens, nous mettons organe
des localités, des rapports de l ’espace, des rapports des lieu x , toute
l’objection de Leroy est applicable à l’organe des localités, il faut donc
que je la réfute.
C. G. Leroy a oublié complètement que les animaux voyageurs retournent
au printemps dans le pays qu’ils avoient quitté en automne.
Qu’est-ce donc qui les forceà quitter un climat où ils se trouvoient bien
pendant que l’hiver régnoit chez nous, et où ils pourroient se trouver
bien tout le long de l’année? S’il ëtoit vrai qu° l ’incommodité d’une
température qui ne convenoit plias à la constitution de l’animal, eût
donné lieu à lemigration, cette incommodité les engagerait tout au
plus à fuir le climat dont la température les incommode, pour en chercher
un plus doux, mais nullement à revenir non-seulement dans le
même pays, mais encore dans le même lieu qu’ils ont quitté; ce que
nous voyons cependant arriver : car tout le monde sait que le même
couple de rossignols revient dans le même bosquet ; le même couple
d’hirondelles sous le bord du même toit; le même couple de cigognes
sur la même cheminée.
Un naturaliste peut-il penser que les transmigrations des animaux
' Lettres philosophiques sur l’intelligence et la perfectibilité des animaux ,
p. 2i5, 218.
aient été confiées à des essais dont le résultat est incertain? Les espèces
n’auroient-elles pas péri pendant les siècles qu’il leur eût fallu pour
s’instruire par ces essais? Tous les oiseaux voyageurs ne se rassemblent
pas en troupes comme les hirondelles; dans plusieurs espèces, les individus
volent isolés pendant tout le voyage, comme le rouge-gorge , le
roitelet [motacilla troglodytes) , le picoïde à trois doigts [picus tridac-
tylus) , le faucon , etc., du moins ils parcourent un chemin considérable
avant que de se rassembler peu à peu en troupes. Dans ces espèces,
les jeunes et les femelles partent d’ordinaire huit à quinze jours avant
les mâles; au printemps,«es derniers reviennent à peu près un nombre
égal de jours avant les femelles. Cette instruction,que,selon Leroy, les
vieux donnent aux jeunes, me paraît donc plus que douteuse. J’exposai
dans mon jardin de jeunes coucous pour les faire nourrir par les autres
oiseaux. Tant que les autres coucous restèrent dans le pays, les deux
jeunes que j’avois fait élever ne quittèrent pas le jardin, mais disparurent
à l’époque de la transmigration de leur espèce , quoiqu’ils n’eussent
communiqué avec aucun des vieux.
Je crois que le cas où un grand nombre d’individus en -têtard périssent
par cette raison, est rare. Car le temps de la couvaison des oiseaux
de passage est en rapport avec l’époque où ils ont besoin d’émigrer. Le
moqueur jaune des roseaux part dès la fin de juin, et ne revient que
vers la mi-mai. Le rossignol et le coucou partent plus tard, et reviennent
dans les premières semaines d’avril. L ’hirondelle part encore plus
tard, et revient plutôt encore. Lorsque dans ces -espèces , il se trouve
des individus foibles, mal conformés ou retardés, il est vrai qu’ils périssent,
mais cela même confirme que l’insitinct d’émigrer étoit indispensable
pour la conservation de ces espèces.
'Si c’étoit l’inclémence de la saison qui inspirât aux animaux voyageurs
le penchant à émigrer, pourquoi le froid le plus rigoureux pendant
lequel les moineaux , les perdrix, les corbeaux., gèlent en fair, ne les
détermine-t-il pas à émigrer dans des contrées plus méridionales? Qui
est ee qui dit au roitelet troglodyte ( motacilla troglodytes), et au
roitelet huppé (motacilla regulus) , les plus petits de nos oiseaux, qu’ils