
8 INTRODUCTION.
du rouge, n’est pas la fibre qui produit le bleu, ou que la fibre de
l’oreille qui donne un ton, n’est pas celle qui dorme un ton différent,
verroit dans cette observation la plus grande des découvertes ? Vous
avez cru jusqu’ici, nous diroit-il, être réduits au très-petit nombre de
cinq sens, je viens vous apprendre que la nature a été bien plus libérale
envers vous : combien ne vous a-t-elle pas donné d’organes de la
vue? J’en vois d’abord sept principaux, destinés aux sept couleurs
primitives. Ensuite, etc. ' ».
Cette objection a déjà été discutée en détail dans le traité sur la
pluralité des organes ’. Il n’est certainement ni nécessaire ni permis de
reconnoître autant de dispositions particulières, et autant d’organes
particuliers, qu’on peut remarquer d’actes ou de modifications dans
l’esprit humain. Je doute cependant que l’exemple des fibres de l’oeil
et de l’oreille soit bien concluant. Bonnet croit, et il est probable,
que chaque fibre nerveuse a sa fonction propre. Pourquoi la nature
lauroit-elle créée? Les modifications des fonctions des sens, soit externes
soit internes, telles qu’on les observe dans différens individus,’
s’expliquent dans cette supposition d’une manière satisfaisante; et l’on
conçoit pourquoi certaines personnes sont incapables de percevoir
certaines couleurs ou certains tons, tandis qu’elles perçoivent très-
distinctement les autres; pourquoi les organes du goût et de l ’odorat
dans les diverses espèces d’animaux et même dans les différens individus,
sont susceptibles de saveurs et d’odeurs d’une nature tout-à-fait
différente, etc. Un développement plus étendu de la même conjecture
disposerait apparemment le lecteur à considérer chaque fibrille nerveuse,
soit dans les nerfs, soit dans le cerveau, comme un petit organe
particulier.
’ T. II, p. 287.
* T. II, p. 429 et suiv,
I N T R O D U C T I O N . Ç)
Mais il ne s'agit pas ici des modifications des fonctions; il s’agit des
fonctions et des dispositions essentiellement différentes I et qui pour
cela même ne sauraient avoir lieu qu’au moyen d’organes essentiellement
différens. Toutes les modifications de la vision sont dues à l’organe
général de la vue. Mais qui oseroit dire que la vue, l’ouïe, le
goût, l’odorat, le tact, sont de simples modifications de facultés? qui
oserait les faire dériver d’une seule et même source , d’un seul et même
organe? De même, les vingt-sept qualités et facultés, que je reeon-
nois comme forces fondamentales ou primitives, se manifestent sous
des millions de modifications; mais l ’anatomie et la physiologie
comparées, l’état de santé et de maladie, le développement non-
simultané de ces différentes forces , etc., e tc., s’opposent à ce
qu’on puisse regarder l’instinct de la propagation , celui de l’amour
de la progéniture, l’instinct carnassier, le talent de la musique, de la
poésie, du calcul , le sentiment du juste et de l ’injuste, etc., etc.,
comme de simples modifications d’une faculté quelconque. Pour soutenir
une pareille proposition, il faudrait, avant de raisonner, détruire
toutes les preuves que j’ai fournies, et que je fournirai en faveur de
leur différence essentielle et de leur indépendance réciproque. Ainsi,
comme il faut admettre cinq sens extérieurs différens, puisque leurs
fonctions ne sont pas seulement des sensations modifiées ou transformées,
mais des modifications essentiellement différentes et affectées à
des appareils organiques particuliers , de même, il faut enfin se résoudre
à reconnoitre les diverses facultés et les divers penchans, non comme
des modifications du désir, de la préférence, de la liberté, de l ’attention,
de la comparaison et du raisonnement, mais comme des forces morales
et intellectuelles essentiellement différentes, affectées également à
des appareils organiques particuliers et indépendans les uns des autres.
Finalement, pour revenir à l’objet favori des discussions de nos philosophes
modernes, aux idées innées, on peut encore demander si Con-
XV.